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Le texte, L’oligarchie qui nous gouverne, reprend la critique anarchiste classique de la démocratie représentative. Il rappelle, à l’aide d’éléments historiques judicieusement choisis, que celle-ci n’est qu’un des habits du pouvoir étatique. Sont éclairantes la résistance et la répression qu’ont connues, au cours de l’histoire, les tentatives pour déborder ce cadre par l’assemblée générale et le mandat impératif, entres autres moyens d’instaurer un système sans délégation de pouvoir.

Le fonctionnement des démocraties actuelles prouve la justesse de cette critique. La soi-disant vie politique se résume à des passes d’armes entre membres d’une oligarchie à l’abri de tout besoin et dont l’appartenance politique affichée importe peu. L’appareil institutionnel permet, au gré des aléas électoraux, de se recycler à l’infini. On constate, entre autres, au niveau de l’Union européenne, le rôle que joue ce nouvel étage bureaucratique pour caser les politiciens nationaux en fin de course. En sus, malhonnêteté et ennuis judiciaires ne sont jamais un frein pour des carrières qui semblent ne s’achever qu’avec la mort. Si rien n’est disponible dans les pantouflages politiques, les grands groupes économiques et financiers pourvoient. Ce tableau est complet avec des médias dominants qui servent la soupe aux politiques, relaient leurs agendas et expliquent aux populations combien il est normal et bon que cela aillent mal pour eux.

Pour cette oligarchie composite (politiques, intérêts privés, médias), la démocratie n’est qu’affaire de conquête et conservation du pouvoir. Il n’est jamais question de le limiter, encore moins bien entendu de le supprimer. Les gens ordinaires sont tenus éloignés de ces sphères du pouvoir. Leur seul rapport est d’être appelé à légitimer cette escroquerie, de temps à autre, en votant. Pourtant, subsiste, parmi une partie de la population, la vieille illusion que l’on peut, ce faisant, vraiment changer les choses.

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Pourquoi cette croyance ? La démocratie telle que nous la connaissons s’enracine dans des périodes durant lesquelles des bouleversements sociaux coïncident avec l’apparition du droit de vote. Il existe donc un lien, dans la conscience collective, entre le fait de voter et le fait révolutionnaire. Ce lien va être conforté par l’attitude d’une partie très importante du mouvement ouvrier dans sa composante marxiste et sociale-démocrate tout au long du 20e siècle : une société socialiste pouvait advenir par les urnes. Durant cette période, la position anarchiste de non participation aux élections a souvent été malaisée à tenir face à des exploités qui comprenaient difficilement que l’on se prive de ce levier d’action.

On ne peut nier qu’au cours du siècle dernier, des lois dans l’intérêt des travailleurs ont été votées par des parlements élus. Pourquoi, alors, les « gauches » au pouvoir légifèrent-elles depuis des décennies contre les travailleurs ? Parce que l’état du rapport de force social et économique qui contraignait le politique ou lui permettait de prendre ces mesures a radicalement changé. Le moteur des conquêtes ouvrières n’était pas le fait du politique qui pouvait, au mieux, en donner un reflet et, au pire, y constituer un frein. Qu’elle soit « révolutionnaire » ou réformiste, l’action de la gauche électoraliste est nulle si elle ne s’appuie pas sur des forces sociales. C’est le cas aujourd’hui : le mouvement ouvrier tel qu’il était n’existe plus et rien de semblable n’est venu le remplacer. De plus, les partis communistes divers et variés ont dû faire avec l’effondrement de leur modèle et la mondialisation néo-libérale a donné les coudées franches au capital.

Demeure de la social-démocratie une entreprise de gestion au service du système économique capitaliste. Excellant dans ce rôle, on l’a voit même jouer le rôle de mieux-disant libéral. Quant aux décombres des partis marxisants, on en a vu émerger ce qu’on a coutume d’appeler « la gauche de la gauche » qui, à l’abri d’une radicalité de façade, n’a d’autres perspectives que de réactiver le vieil agenda social-démocrate. Ces partis (Syriza en Grèce, Podemos en Espagne, par exemple) se sont, selon la même vieille tactique, appuyés sur des mouvements sociaux qui préexistaient pour ressortir le vieux couplet électoraliste : voter pour nous est l’occasion de rendre efficace les idées du mouvement social, d’élargir la base, etc. Résultat ? En Grèce, Syriza applique scrupuleusement la politique qu’elle prétendait combattre ; en Espagne, Podemos est en voie accélérée de normalisation. A rebours de ce que ces partis prétendent, le passage au politique n’est pas la continuation du mouvement social, mais sa mort. Arrivée au pouvoir, comme en Grèce, cette nouvelle gauche fait le job et assure, nolens volens, la pérennité des conditions cadres du capitalisme. Au passage, ses membres, nouveaux venus dans l’oligarchie, jouissent d’une notabilisation aussi accélérée que leur trahison.

Voilà où la fétichisation des élections a conduit la gauche politique : impuissance et participation à la reproduction des rapports de force au sein de la société. L’électoralisme a aussi hâté le recul du mouvement ouvrier en monopolisant les énergies politiques des exploités et en dénigrant les autres formes d’action, notamment l’action directe.

Une partie de l’électorat de gauche ne s’y trompe pas et ne se déplace plus, lasse des alternances qui reconduisent toujours les mêmes politiques. Une autre partie vote en se pinçant le nez, dans une course à l’abîme qui consiste à chercher ce qui serait le « moins pire ». Une troisième partie de cet électorat, celle qui vote encore avec un peu de conviction, s’identifie aux élites ou a un intérêt dans le cirque électoral. Enfin, une dernière partie se reporte sur le vote d’extrême-droite. Les travailleurs et chômeurs les plus mal lôtis choisissent de croire des batelleurs fascisants qui profitent sans peine du contexte créé par la mondialisation. Non prise en charge par la gauche de la gauche, délaissée par les socio-démocrates, la question sociale se voit donner une réponse xénophobe et nationaliste. En réponse, la social-démocratie ne tente pas de s’en ressasir mais va au contraire piller le fonds droitard à grand renfort de mesures sécuritaires et d’appel à la patrie.

Nous n’avons pas entrepris la rédaction ce texte en fonction de l’actualité. Ce que nous disons, en complément du texte L’oligarchie qui nous gouverne, est fondamentalement vrai depuis que le sytème représentatif existe, chaque époque historique ne faisant que l’accomoder au gré des circonstances. Toutefois, la très récente élection de Donald Trump et le contexte étatsunien dans lequel elle a eu lieu sont parfaits pour saisir ce que sont nos démocraties : un bipartisme caricatural ; une élite sélectionnée par l’argent ; un accord général sur le choix capitaliste ; la négation de la lutte des classes ; le patriotisme obligatoire.

Si Trump applique son programme, ce n’est pas à un changement de société auquel nous allons assister mais à une variante du modèle capitaliste dont les caractéristiques seront d’être réactionnaire en terme sociétal, raciste et sécuritaire en terme social et ultra-libéral en terme économique. Qu’une partie des gens modestes ait pu voter pour ce type de programme dont ils seront à coup sûr les premières victimes dit assez comment la démocratie spectaculaire américaine permet toutes les manipulations jusqu’à l’absurde. Mais Trump n’invente rien, il ne fait qu’utiliser ce que lui offre une société américaine dont le fanatisme capitaliste a fixé comme règles l’injustice sociale et l’individualisme exacerbé. Certes, Clinton était un mal moindre ne serait-ce que pour le droit des femmes et des minorités. Mais qu’aurait-elle fait pour changer le système social et économique ? Pas grand chose, si l’on en croit l’exemple d’Obama.

Aux Etats-Unis des manifestations ont lieu pour constester la légitimité de Trump comme président. Nul doute que manifester contre ce type est certainement une chose à faire. Mais selon quels mots d’ordre ? On lit le slogan « not my president ». C’est intéressant car cela signifie que les manifestants remettent en cause, même si c’est à leur corps défendant, le système représentatif qui peut donner un résultat qui apparaît comme inacceptable. Bien entendu, cette brêche dans la croyance électorale n’équivaut pas à une remise en cause du système en tant que tel, mais elle montre que l’adhésion à un système absurde a des limites.

Il serait temps d’arrêter de guetter l’homme ou la femme providentiel. Il faut redire et réincarner une opposition claire au système capitaliste que les élections légitiment. Les mensonges et les manipulations qu’elles permettent ne peuvent être contrecarrés qu’à la base, dans la vie de tous les jours, sur les lieux de travail en s’organisant non pas en vue de prochains scrutins mais pour donner du sens à la réalité vécue. C’est seulement ainsi, qu’un travailleur se rendra compte que ses intérêts sont certainement plus liés à ceux de l’étranger qui partage sa condition qu’à ceux d’un milliardaire capitalisto-fasciste.