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Courrière_1906

Courrières 1906 - Le cortège des grévistes parcourant les corons
"Le petit Journal"

L’idée de grève générale est ancienne, on la rencontre déjà durant la Révolution française. En 1886, elle est mise en œuvre par les ouvriers de Chicago qui réclament la journée de travail de huit heures. C’est aussi la grande idée du syndicalisme révolutionnaire et de la CGT à son origine. Dans ce chapitre et dans les suivants, nous allons plancher sur cette question et sur les défis qu’elle pose.

Confrontés à l’échec de la perspective insurrectionnaliste des années antérieures, les anarchistes décident, à la fin du 19e siècle, en France, d’entrer massivement dans les syndicats. Vingt-cinq ans après l’écrasement sanglant de la Commune de Paris, les militantes et militants pensent que la Révolution est toute proche, ainsi ils réfléchissent concrètement à ce qu’il faudrait mettre en œuvre pour la gagner. Il s’agirait notamment de bloquer les points névralgiques du système : transports, énergies, communications… puis de réorganiser la société sur une base ouvrière, sans patrons et sans Etat.

Les syndicats paraissent tout désignés pour réaliser cette tâche. Pour fomenter une révolution de partout et de nulle part comme l’écrit Fernand Pelloutier – alors à la tête de la Fédération des bourses du travail – dans la brochure Qu’est-ce que la Grève générale ?, publiée en 1895. La grève générale est ainsi conçue comme une grève expropriatrice qui ferait tâche d’huile dans chaque ville, chaque quartier, chaque rue… ce qui permettrait d’éviter la bataille rangée avec la troupe, les massacres de masse… Toutefois, le concept de grève générale est polysémique. Les syndicalistes l’utilisent aussi pour parler de la grève d’un secteur, d’un mouvement qui embrase une région ou une ville comme à Douarnenez en 1905.

Revenons un peu en arrière. En 1895, la CGT naissante crée en son sein un Comité de la Grève générale, et à partir de son deuxième congrès à Tours en 1896, elle adopte le principe d’une propagande intense en faveur de celle-ci. Dans les congrès qui suivent, ce principe est réaffirmé.

Dans un premier temps, la grève générale s’oppose à la grève localisée dans une entreprise. Dans la brochure déjà citée, l’un des ouvriers à qui Pelloutier prête sa plume, condamne les grèves limitées, non seulement celles qui échouent, mais aussi celles qui réussissent, car « sauf dans le cas très rare où la nécessité de livrer des commandes pressées oblige le patron à céder immédiatement, l’augmentation de salaire obtenue ne couvrira jamais les sacrifices faits pour elle ».

Le point de vue développé par Emile Pouget, lui aussi syndicaliste et anarchiste est différent : la grève partielle est une gymnastique révolutionnaire, un apprentissage de l’action directe, une préparation de l’individu et du collectif à l’émancipation intégrale. Il faut dire qu’au début du 20e siècle, les mouvements grévistes se multiplient, en lien avec une situation économique favorable qui facilite les succès ouvriers et donne des ailes aux révolutionnaires.

En 1904, au congrès de la CGT à Bourges, Dubéros, un jeune militant, délégué des coiffeurs propose d’engager un vaste mouvement pour qu’à partir du 1er mai 1906, les travailleurs ne travaillent pas plus de huit heures par jour. La majorité accepte cette idée qui associe la grève générale, la revendication des huit heures et le 1er mai comme journée revendicative.

Après des mois d’une intense activité (tracts, affiches[1], journaux, brochures, meetings…) animée par la Commission pour les huit heures de la CGT, la grève générale n’aboutira pas au résultat annoncé, même si des réductions de l’horaire de travail seront obtenues dans plusieurs secteurs et de nombreuses entreprises ; demi-succès ou demi-échec selon les interprétations. Les raisons en sont multiples. La première est circonstancielle. Un événement imprévu a fait partir les grévistes en ordre dispersé : la catastrophe dite de Courrières.

Le 10 mars 1906, entre Courrières et Lens, se produit la plus grave catastrophe minière d’Europe : officiellement 1’099 morts. La gestion désastreuse de la direction de la compagnie qui n’avait pas tenu compte des avertissement préalables et qui fait arrêter les recherches trois jours après l’explosion (alors que des rescapés parviendront à sortir vivants de la mine vingt et vingt-quatre jours plus tard) fait monter la colère dans toute la région. Le 16 mars, 25’000 ouvriers sont en grève. Ils seront jusqu’à 60’000 après la découverte des survivants. La France commence à manquer de charbon, la principale énergie de l’époque.

Pour faire face aux manifestations et émeutes, le ministre de l’intérieur Georges Clemenceau fait mobiliser 30’000 gendarmes et soldats. La répression, les difficultés financières des grévistes, mais aussi le dédommagement des familles des victimes et l’obtention de certaines revendications comme le repos hebdomadaire amènent les mineurs à interrompre leur grève, à la veille du 1er mai 1906, au moment même où la grève générale doit débuter dans tout le pays (à suivre).

[1] Six millions d’affichettes revendiquant la journée de 8 heures sont apposées dans toute la France.

Affiche pour les 8 heures