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Quand la confusion règne ou les aléas de la méthode référendaire

Au départ, les choses paraissaient simples. Suivant les arguments d’un ministre PS, les chambres fédérales avaient accepté un compromis (prévoyance vieillesse 2020) qui – une fois encore – lésait les travailleuses obligées de travailler une année de plus (jusqu’à 65 ans) pour pouvoir bénéficier de l’assurance vieillesse (AVS). Déjà, dans les années 1990, c’était une conseillère fédérale PS : Ruth Dreifuss, qui avait fait passer l’âge de la retraite des femmes de 62 à 64 ans en échange de quelques concessions. Rien de mieux que de prétendus socialistes pour défendre le compromis politique, en disant que ce serait ça ou pire encore en cas de rejet ! Dans le cas présent, une compensation mensuelle dérisoire de 70 francs suisse (env. 60 €) pour les futurs retraités (hommes et femmes) a été obtenue, financée par une hausse des cotisations et de la TVA, l’impôt le plus antisocial !

L’argument massue visant à justifier cette réforme des retraites est – ici comme ailleurs – la mise en accusation de la population vieillissante du « baby-boom » à qui l’on reproche d’être trop nombreuse, de vivre trop longtemps, de coûter trop cher. L’emploi se raréfie, la précarité se développe, les robots et les machines remplacent la classe ouvrière, mais le système de protection sociale continue de reposer essentiellement sur les cotisations salariales. Pas question de mettre sérieusement à contribution le capital.

Une partie de la gauche et des syndicalistes a donc lancé un référendum contre cette nouvelle attaque et le peuple était appelé à choisir entre les préceptes de la « vraie gauche » et ceux du centre/gauche-libérale qui pratique le réformisme à l’envers, soit le saucissonnage du recul des prestations sociales. Mais c’était sans compter sur la frustration de la « droite dure », en désaccord avec le compromis gouvernemental et parlementaire, qui s’est lancée dans la campagne référendaire, coupant l’herbe sous les pieds de l’extrême-gauche. Maintenant, libéraux-radicaux et « populistes » d’extrême-droite se font les champions du refus de la réforme. Il faut dire que le « cadeau » des 70 francs leur est resté en travers de la gorge. Ils se font désormais passer pour des partisans de la cause des femmes, en expliquant que celles-ci devront travailler une année de plus pour verser cette obole à des messieurs qui n’en n’ont pas besoin et l’on a vu dans une émission de TV l’avocat genevois, conseiller national et vice-président du parti libéral-radical, Christian Lüscher interpeller une syndicaliste en lui disant : vous allez travailler une année pour payer ces 70 francs à moi-même et au conseiller fédéral (ministre) Alain Berset ici présent !

Cet Alain Berset, tout comme l’armada des têtes pensantes du PS et des dirigeants de l’Union syndicale suisse (USS) qui défendent la loi ont beau dire que ces gens-là avancent masqués, que leur véritable intention est de repousser l’âge de la retraite de tous à 67 ans ou plus, l’électorat est désorienté, notamment par les médias qui présentent désormais PV2020 comme une loi de gauche et son rejet comme étant de droite. Comme aurait pu dire Orwell : la gauche, c’est la droite ; la droite, c’est la gauche !

A la différence de ses adversaires, la droite dure pratique la lutte des classes. L’arrangement concocté sept ans durant par les commissions de consultation, le gouvernement et le parlement n’est pas à son goût ; le compromis trouvé pour faire passer « devant le peuple » la pilule du relèvement de l’âge de la retraite des femmes est trop généreux ; ses représentants utilisent toutes les ficelles pour le saborder, quitte à reprendre les arguments de celles et ceux qui se trouvent à l’autre extrémité de l’échiquier politique. Face à un centre-gauche qui se présente comme un gestionnaire rationnel et raisonnable, qui prétend « sauver » l’équilibre du système des retraites, ils mettent en avant toutes les catégories qui vont y perdre des plumes : les gens qui sont déjà à la retraite qui ne toucheront pas les fameux 70 francs, les moins de 45 ans, qui verront leur deuxième pilier[1] réduit, les femmes qui devront travailler plus longtemps… Ce ne sont pas des idiots, ils ne vont pas dire que leur intention est de serrer la vis encore plus que la majorité politique du moment. Au passage, ils appellent tout un chacun à évaluer sa situation individuelle et à voter en fonction de ses intérêts particuliers. Chacun pour soi et les vaches seront bien gardées ! Les opposants de la première heure seraient plutôt des collectivistes, des communistes… Avec la méthode référendaire, ils prêtent le flanc à l’individualisme le plus exacerbé.

Nous récoltons les véritables fruits d’un siècle de réformisme, de « socialisme » étatique et électoraliste. Les syndicalistes révolutionnaires du début du XXe siècle se méfiaient des premières lois sur les retraites ouvrières, et ce malgré l’incompréhension de beaucoup de leurs contemporains qui y voyaient un progrès. Ils étaient partisans d’un système mutualiste et voulaient conserver l’autonomie de la classe ouvrière. Maintenant, il n’est pas possible de revenir en arrière et de dire qu’on n’en a rien à faire de la retraite – et cela bien que beaucoup de jeunes pensent qu’ils ne la toucheront jamais. Au contraire, il faut se battre pour conserver et améliorer les acquis sociaux, mais avec des moyens accessibles à toutes et tous, directs, sans médiation politique.

Aujourd’hui, en Suisse, les femmes gagnent en moyenne 18% de moins que les hommes, elles touchent aussi des rentes vieillesse inférieures. Et maintenant, c’est au nom de l’égalité que l’on prétend aligner l’âge de la retraite des femmes sur celui des hommes. Ces dernières années, les combats menés au nom du féminisme n’ont guère permis d’améliorations pour celles qui se trouvent au bas de l’échelle sociale. Par contre, une partie de l’élite a pu accéder à des postes à responsabilités, notamment sur le plan politique, et l’on voit des femmes politiques de gauche et du centre défendre la réforme PV2020, sans se soucier de celles qui sont épuisées, précaires ou marginalisées à la fin de leur vie professionnelle.

Au journaliste qui lui demande ce qu’elle dirait à une femme de 60 ans qui va devoir travailler une année de plus, l’ex-conseillère fédérale Eveline Widmer-Schlumpf répond : « Pourquoi parlez-vous de devoir ? Pensez-vous vraiment que tout le monde se réjouit de ne plus s’assoir à sa place de travail ? Si on voit le travail que comme un devoir, c’est une vie horrible pour tous les employés en Suisse » (Le Matin Dimanche 03.09.2017). Quelle mentalité ! Oui madame, beaucoup de travailleuses ont en effet une vie horrible : travaux répétitifs ; emplois pénibles et mal payés ; double journée de travail quand il faut aussi s’occuper du ménage, des courses, des enfants, des personnes dépendantes… Beaucoup de femmes ne sont pas assises à leur bureau, mais travaillent debout ou dans des postures contraignantes ; la majorité ne travaille pas parce qu’elle en a envie, mais parce qu’elle n’a pas le choix.

Le recours au référendum offre sur un plateau la possibilité à des politicien-ne-s comme madame Widmer-Schlumpf et à des plus tordus encore, comme ceux et celles du PLR et de l’UDC, de donner de la voix et de distiller leur idéologie. Aujourd’hui, ils et elles essayent de terroriser la population en disant que les caisses sont vides et que si on n’accepte pas de faire des sacrifices, on n’aura plus rien.

Nous n’avons pas à être raisonnables et à nous comporter comme si nous devions gérer les institutions, en avançant des solutions réalisables dans le cadre du système actuel. Laissons cela à ceux et celles qui ont choisi de diriger le pays, qui prétendent que le capitalisme-libéral est le seul horizon possible et qui, au final, n’ont que du sang et des larmes à offrir. C’est au quotidien, dans la rue et sur le lieu de travail, que nous devons contester leurs décisions. C’est là que s’établissent les vrais rapports de force et non dans les urnes où l’on risque toujours de se faire voler une éventuelle « victoire » par des politiciens cyniques.

Ariane

[1] Le deuxième pilier ou prévoyance professionnelle est un système de retraite obligatoire par capitalisation auquel cotisent les salarié-e-s qui gagnent au moins 21’150 francs par an. Beaucoup de personnes travaillant à temps partiel et de précaires n’y cotisent pas, tout comme les petits indépendants pour qui le deuxième pilier n’est pas obligatoire. Cette assurance est censée permettre de maintenir le niveau de vie après la retraite. Celles et ceux qui gagnent peu n’ont que leur rente AVS ou pas beaucoup plus pour vivre, car le salaire cotisant est réduit d’un montant dit « de coordination » qui, sans entrer dans les détails, favorise les hauts salaires. La réforme PV2020 prévoit de faire cotiser les salarié-e-s dès 14’000 francs de salaire annuel. Des personnes à petit revenu entreraient donc dans le système avec comme effet immédiat une baisse de salaire, à cause des cotisations à payer.

Avec le deuxième pilier, chacun-e se constitue un capital individuel géré par une caisse de pension qui donne droit à une rente individuelle à l’âge de la retraite (et aussi à des rentes de veuf/veuve ou d’invalidité…). Actuellement, la loi exige un taux de conversion (qui transforme le capital en rente annuelle) minimal de 6,8%, ce qui veut dire qu’il faut vivre au moins 15 ans après l’âge de la retraite pour récupérer son capital. Avec la réforme, ce taux de conversion sera réduit à 6%, ce qui entraînera une baisse des rentes pour les moins de 45 ans, les plus âgés conservant les droits acquis grâce à des mesures de compensation.

Le deuxième pilier n’est pas du tout efficient. Comme l’écrit Pierre-André Charrière dans La Liberté (22.08.2017) : « [il] coûte horriblement cher. Les frais administratifs approchent les 2 milliards annuels et les frais de gestion de fortune les 4 milliards. Cette épargne est tributaire des marchés financiers et doit encore (pour une grande partie des salariés) financer les bénéfices des assureurs-vie (la loi leur permet de conserver 10% des excédents pour eux et leurs actionnaires) ». De plus, ces masses de capitaux provenant des cotisations salariales sont notamment investis dans l’immobilier – parce que ça rapporte plus que les actions ou les obligations. Les différentes caisses de pension se livrent une concurrence acharnée pour trouver les meilleurs placements. Ainsi le travailleur investisseur fait payer un loyer maximal « à l’insu de son plein gré » au travailleur locataire qu’il est lui-même, pour faire fructifier son capital retraite…