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Dans un précédent épisode, nous parlé des classes sociales et de l’occupation de l’espace (d’habitation). Une autre forme de ségrégation existe, elle est basée sur le genre : la mer appartient aux hommes.

Dans les témoignages recueillis par Anne-Denes Martin(1), il n’est jamais fait mention de femme-pêcheur. Aucune « Jeannette » qui aurait « fait la pêche avec son père (…) avant son mariage » comme celle qu’évoque Paul Jorion dans sa recherche sur les pêcheurs d’Houat(2) qui eux aussi, sauf pour l’exception de « Jeannette », considéraient encore, dans les années 1970, la mer comme leur domaine exclusif.

Pour les femmes du peuple à Douarnenez, le débouché professionnel, c’est l’usine. « En 1924, les usines de Douarnenez emploient 2’453 personnes : 1’851 ouvrières et 602 ouvriers. La majorité des femmes sont dans la conserve, 1’482 contre 118 à la filature Béléguic, 111 à la métallurgie Ramp (…) et 140 à la biscuiterie. En fonction des fluctuations de la pêche, les effectifs se gonflent ou se réduisent. »(3)

Leur destin n’est pas le même suivant le statut de leur époux ou père. Les femmes des patrons-pêcheurs ne travaillent pas en usine. Les filles des petits patrons sardiniers ne travaillent pas dans les conserveries mais à la filature qui ne prenait « que les enfants des patrons » puisqu’ils y achetaient leurs filets. C’était un peu mieux payé et surtout « c’était un travail beaucoup plus propre (…) on sentait bon, on sentait le filet neuf (…) on ne sentait pas l’odeur de la friture, l’huile qui vous dégoulinait partout »(4).

Sur les photos d’époque, on voit aussi des apprenties couturières, que l’on distingue par les bottines qu’elles portent au lieu des sabots de bois. La formation de couturière est payante. Ces filles viennent donc de milieux moins modestes que les apprenties sardinières…

On ne choisit pas son travail, c’est le métier qui vous choisit et vous colle à la peau. Dans les conserveries, au 19e siècle, les fillettes travaillaient dès huit ans. Après la première guerre mondiale, les apprenties débutent à douze ou treize ans, parfois à dix. Les patrons n’exigent pas le certificat d’étude, mais seulement de porter la coiffe qui ramasse les cheveux. Les ouvrières les plus âgées peuvent avoir 80 ans.

La carrière n’est pas linéaire : « une femme de pêcheur peut arrêter son travail en usine, quand son mari devient patron d’une chaloupe ou d’un thonier, pour le reprendre au temps de son veuvage »(5). Car elles sont nombreuses, les veuves. Le métier de marin-pêcheur est dangereux. En mer, l’accident est vite arrivé. Le froid et la promiscuité sur les embarcations sont propices aux épidémies…

On ne travaille pas non plus toute l’année dans les conserveries. L’hiver est une saison morte pour la pêche et les usines ferment. Pour celles qui n’ont pas suffisamment économisé ou qui ont un mari trop porté sur la bouteille, les temps sont durs.

En été, par contre, la pêche est abondante et les femmes accumulent les heures. Jusqu’à quatorze ou quinze heures par jour. En l’absence de réfrigération, le poisson doit être cuit le jour même. Une tâche réalisée par les plus jeunes qui, lors des gros arrivages, restent à leur poste jusqu’à minuit ou une heure du matin, pour reprendre le lendemain à huit heures.

« Dans le monde, les femmes effectuent les 2/3 du nombre d’heures de travail (…). [Elles] effectuent la majeure partie du travail domestique et de soins non comptabilisé dans l’économie. »(6) Cette réalité se vérifiait aussi – qui s’en étonnerait – au début du 20e siècle à Douarnenez.

Des femmes qui travaillent de longues heures en usine, s’occupent de la maison, de la lessive au lavoir, de réparer les cirés des pêcheurs, de nettoyer et de ramender les filets de pêche. Une activité que – d’après les témoignages – elles font la nuit ou à l’heure de table, tant le temps leur manque.

A terre, les hommes ont nettement moins d’activités. Ils ne tannent les voiles du bateau que deux fois par an. Certes, ils s’occupent de cadrer les filets neufs dans leur grenier ou s’ils sont patrons, de briquer leur bateau, surtout à la saison morte. Le reste du temps, ils le passent dans « les bons coins » qui abondent : à l’abri du marin, dans les cafés ou dans la rue.

Le pêcheur, bien qu’il sache cuisiner ou coudre, ne reste pas trop à la maison, sinon il se ferait traiter de catélic, littéralement « petite Catherine », une insulte !

(A suivre…)

 

1) Anne-Denes Martin, Les ouvrières de la mer. Histoire des sardinières du littoral breton, Paris, L’Harmattan, 1994.

2) Paul Jorion, Les pêcheurs d’Houat. Anthropologie économique, Paris, Herman, 1983.

3) Anne-Denes Martin, op. cit., p. 31.

4) Ibid, p. 52.

5) Ibid, p. 44.

6) http://www.adequations.org/spip.php?article363
Consulté le 26.01.2015

 

10/02/2015