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Alors que le pouvoir s’efforce par tous les moyens de faire durer la peur et de soumettre la population à ses dictats, des soulèvements massifs se produisent – comme en Guadeloupe et en Martinique – pour dénoncer l’injustice et l’arbitraire. A Cadix, c’est en soutien à une grève générale sectorielle que la population est massivement sortie dans la rue. Face au capitalisme débridé et à la violence de l’Etat, toutes et tous ne sont pas tétanisé.es et dociles. Bien sûr, ces mouvements ont leurs limites, mais ils sont réjouissants, car ils témoignent de la vitalité des exploité.es.

Durant dix jours, du 16 au 25 novembre 2021, une grève générale des PME de la métallurgie a bloqué ce secteur qui occupe quelque 30’000 travailleurs et travailleuses dans la province de Cadix (Andalousie). Cette mobilisation s’est produite en raison du renouvellement de la convention collective. Au départ, le patronat proposait une augmentation des salaires de 0,5% alors que l’inflation a déjà atteint 5,5% depuis le début de l’année !

Finalement, le préaccord concocté par les syndicats « majoritaires » (ou de régime) CCOO et UGT et les représentants du patronat, sous l’égide du gouvernement régional, prévoit une compensation du renchérissement de 2% pour 2021, avec effet rétroactif depuis le début de l’année. En 2022, 2023 et 2024, si la hausse de l’indice des prix à la consommation devait dépasser 2%, une compensation partielle (80%) de ce surcroît serait rétroactivement perçue, mais toujours avec un an de retard… Ce compromis a été salué tant par le pouvoir local (de droite) que par le gouvernement central (de gauche), bien qu’il implique une baisse du pouvoir d’achat des métallurgistes en 2021 et pour les années à venir. Vendredi 26 novembre une affichette circulait annonçant : « Qu’est-qui s’est le plus vendu à Black Friday ? CCOO et UGT » !(1)

Le pouvoir politique a eu chaud et est trop heureux de voir se terminer un conflit qui a pris la forme d’un vaste soulèvement populaire, rassemblant aux côtés des grévistes, une bonne partie de la population (femmes au foyer, étudiant.es, retraité.es, etc.). Pour réprimer le mouvement, le gouvernement central du parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) et de Unidas Podemos (gauche de la gauche) a envoyé sur les lieux la police anti-émeutes : des véhicules blindés et des « robocops » tirant des balles en caoutchouc contre les « piquets de grèves » (des manifestations massives) qui bloquaient l’accès aux zones industrielles et aux raffineries, paralysant entre autres la production de l’A320 et de l’A350 d’Airbus.

Des scènes de violences policières – qui se sont produites à l’intérieur même des quartiers populaires y compris sous les fenêtres d’écoles et de crèches, terrorisant les enfants – ont été vues par toute l’Espagne à la télévision et sur les réseaux sociaux, écornant l’image du « gouvernement le plus à gauche que l’Espagne ait connu ». Interrogé par un journaliste, un militant ouvrier de Cadix suggérait que lors de la clôture du prochain congrès du PSOE, les délégué.es chantent la Cara al sol (hymne fasciste de la Phalange espagnole) plutôt que l’Internationale ! Ces événements dévoilent la césure de plus en plus profonde entre un pouvoir qui se prétend en faveur de la classe ouvrière et celle-ci, quand elle lutte pour défendre ses droits.

Les raisons de la colère

Avec 27% de la population active en recherche d’emploi, Cadix est la « capitale » espagnole du chômage. Le secteur de la métallurgie (notamment la construction navale et aéronautique) est le deuxième de la province après celui des services. Depuis plusieurs décennies, il est en déclin et a connu de nombreuses restructurations. Des grèves et des mobilisations populaires ont ponctué l’histoire de la région. Par exemple en 1987, suite à l’annonce d’une reconversion des chantiers navals, la localité de Puerto Réal avait connu une longue mobilisation pour la sauvegarde de l’emploi. Dans cette lutte où les anarcho-syndicalistes de la CNT avaient joué un rôle crucial (2), la population s’était aussi massivement soulevée en soutien à la grève générale.

Le modèle actuel de l’industrie de la province est le suivant : quelques grands groupes (Navantia, Airbus, Alestis, etc.) sous-traitent une bonne part de la production à des PME qu’ils mettent en concurrence les unes avec les autres. Ces PME, qui occupent désormais plus des deux tiers de la main-d’œuvre du secteur, embauchent surtout des intérimaires dont les conditions de travail sont lamentables et les droits rarement respectés : contrats de courte durées, heures supplémentaires innombrables, beaucoup renoncent même à leurs vacances de peur de ne pas se faire réembaucher ultérieurement… Selon des témoignages, la situation serait encore pire dans le secteur touristique (hôtellerie, restauration…) vers lequel les décideurs prétendent réorienter l’économie de la région. Quant au secteur de la santé, les autorités andalouses ont déjà annoncé que 40% des « contrats Covid » qui arrivent à échéance à la fin de l’année ne seront pas renouvelés…

Contrairement aux salarié.es fixes des grands groupes, où les syndicats sont mieux implantés, les intérimaires sont dans l’impossibilités de se faire représenter dans les institutions du personnel (comités d’entreprises, etc.) car pour voter ou se faire élire, il faut être embauché depuis plus de six mois. De fait, dans les industries auxiliaires, les délégué.es du personnel sont généralement des proches des patrons, les seuls à avoir des contrats fixes. Ainsi, la participation des travailleurs, tant vantée par le syndicalisme de régime est complétement vidée de son contenu. Le modèle syndical de collaboration des salarié.es qui est inscrit dans la loi en Espagne a affaiblit la classe ouvrière et discrédité les syndicats dont les élu.es bénéficient d’avantages (heures de délégations, etc.) considérés de plus en plus comme des privilèges illégitimes. Les assemblées décisionnelles ne sont pas celles de l’ensemble du personnel, mais celle des délégué.es. Quand ce modèle est inopérant, cela libère des forces, et c’est ce qui s’est passé lors de la mobilisation de Cadix.

Bien qu’ayant joué un rôle déterminant dans la récente grève générale, les intérimaires pourraient ne pas en voir les fruits. Le principe du paiement rétroactif de la compensation du renchérissement leur est défavorable : aller réclamer son dû à la fin de l’année dans une boîte où l’on a travaillé quelques semaines ou quelque mois risque d’entraîner une inscription sur la liste noire. Dans leur communiqué du 26 novembre 2021, les syndicats interprofessionnels de la CNT-AIT de Cadix et Chiclana de la Frontera rendent public leur désaccord quant au compromis signé par CCOO et UGT pour mettre fin à la grève de la métallurgie. Ils estiment que l’ampleur de la mobilisation des travailleuses et travailleurs et la solidarité massive auraient permis une vraie victoire et ils annoncent aussi qu’ils seront vigilants quant à l’application, dans les moindres détails, de la nouvelle convention collective. Il ne suffit pas de signer un accord, il faut aussi le faire respecter. Nous ne doutons pas que tant sur le lieu de travail que dans la rue, ces militant.es poursuivront leur lutte contre les injustices et le non-respect des droits acquis.

Notes
1) Les syndicats CCOO et UGT négocient la plupart des conventions collectives en Espagne. En cette fin d’année 2021, les accords qu’ils ont signés prévoient en général des hausses de salaires de 1% à 2%. Soit une perte sèche pour les salarié.es dont les salaires sont bloqués depuis plusieurs années.
2) Voir la brochure Où va la CNT ? pp. 16-17
https://laffranchi.info/wp-content/uploads/2015/12/ou_va_cnt1988.pdf