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A l’occasion du 28e congrès de l’AIT-IWA à Alcoy qui a eu lieu du 9 au 11 décembre derniers et qui marque le centenaire de l’Internationale anarcho-syndicaliste, le prisonnier anarchiste Gabriel Pombo da Silva a fait parvenir une lettre aux congressistes, dont nous publions ci-dessous de larges extraits.

Après plus de 30 ans de prison, Gabriel Pombo da Silva est l’un des plus anciens prisonniers de l’Etat espagnol. Il devrait être libéré depuis longtemps – les délits pour lesquels il est incarcéré datent des années 1990 – mais du fait de ses convictions et de ses combats, les autorités judiciaires et pénitentiaires s’acharnent contre lui. Il ne s’agit plus de « justice » mais de vengeance… (1)

Prison de León, novembre 2022

« Il y a des luttes et des conflits qui tuent, il y a des luttes et des conflits qui poussent l’humanité sur le chemin du progrès… » P. Kropotkine

Salut compagnon.ne.s !

Je remercie le temps et l’espace que la CNT-AIT m’offre dans le cadre de cet important Congrès du centenaire de l’AIT. Je regrette de ne pas pouvoir être présent parmi vous…

J’ai toujours des pensées affectueuses en songeant à nos emprisonné.e.s dans le monde, aux disparu.e.s, à celles et ceux qui sont tombé.e.s, ou qui luttent et résistent individuellement et collectivement, tant sur le plan idéologique qu’en s’organisant, pour faire face au « Moloch » techno-capitaliste qui dévore aussi bien l’être humain que la planète. Ce qui se produit depuis que les maîtres de la Terre nous considèrent comme des « ressources ».

De fait, ni la Nature n’est une ressource (d’autant moins inépuisable), ni l’être humain « simple et normal » n’est né pour servir qui que ce soit. Nous survivons dans des cités toxiques, nous nous alimentons (toujours plus) de façon précaire et malsaine ; nous payons plus de la moitié d’un salaire pour avoir un espace réduit où (co)habiter… et ne parlons pas de ceux qui n’ont ni toit, ni salaire, ni accès aux services de santé.

Nous sommes légion les pauvres… cependant, la servitude volontaire, l’absence de conscience politique, l’extrême indigence qui entraîne des conditions de travail infrahumaines et tant d’autre choses nous obligent à nous organiser, pas seulement pour cette hypothétique « révolution sociale », mais pour être pratiques et efficaces dans notre survie quotidienne, au jour le jour, pour ce qui réellement nous importe.

Les anarchistes nous ne naissons pas, nous nous faisons… si l’anarchisme continue à donner des réponses (sur le plan organisationnel, théorique, moral et pratique, économique et culturel, etc.) actuellement (et depuis plus d’un siècle) et existe dans beaucoup d’endroits dans le monde, c’est parce que ses principes fondamentaux (appui mutuel, solidarité, internationalisme, etc.) comme ses diverses formes « doctrinales » et d’organisation sont valides et nécessaires.

L’anarchisme a de nombreuses sources… les « classiques » sont fondamentales : Proudhon, Bakounine, Kropotkine, Reclus, Malatesta, R. Rocker, etc. Les principes fondamentaux ont germé dans les noyaux prolétaires les plus avancés, où l’on réfléchissait aux formes d’organisation (mutualisme, collectivisme, appui mutuel, communisme anarchiste, etc.) et aux méthodes et valeurs : action directe (ne jamais déléguer), grève, sabotage, expropriation, etc.

L’implosion des empires (austro-hongrois, tsariste, saint empire germanique) a coïncidé avec l’ère industrielle et avec tout un maelström de gens dans la misère, qui se sont vu forcés à quitter la campagne pour les fabriques. Ceux-ci furent les protagonistes, le « sujet historique » susceptible de faire advenir la société nouvelle.

Nous sommes les descendants directs de la Commune de Paris, des soviets libres de Kronstadt, de Bavière ou d’Ukraine, des révolutions manquées au Mexique avec Flores Magón (vilement assassiné dans une prison américaine) et Zapata ; ou des mouvements révolutionnaires aux Asturies en 1934 et dans la Péninsule ibérique en 1936-39.

Pour nous RIEN N’EST TERMINÉ… l’énorme héritage historique, culturel, social et politique est là… et avec tout ça nous avançons !

Un vieux révolutionnaire a dit une fois que : « le plus difficile n’est pas de faire éclore une insurrection, mais que celle-ci se transforme en révolution et se maintienne dans le temps et le territoire. » (…)

La vie de chaque rebelle-révolutionnaire est la poursuite d’une tentative permanente de rester fidèle à nos principes anti-autoritaires, internationalistes et de classe. Sans cela nous ne parlons pas d’anarchisme, ni de rien de libertaire.

Qui a eu le temps nécessaire pour approfondir des thèmes importants (…) d’histoire, d’anthropologie sociale et culturelle ; les théories politiques et les systèmes économique entre autres (…) n’est pas seulement amené à réfléchir au MONDE QUE NOUS VOULONS, mais aussi à penser comment être utile et pratique, au-delà des « améliorations partielles », dans certains aspects de nos vies.

Nous apprenons de toutes celles et ceux qui ont quelque chose à apporter… de la dignité des peuples, communautés et individus qui ont résisté et combattu le « Moloch » tout au long de l’Histoire.

Quand j’écris le mot « Moloch » me viennent à l’esprit ces images du film muet de Fritz Lang (Metropolis 1927) où se superposent des ouvriers-soldats – soldats-ouvriers qui défilent martialement et qui tombent dans ses mâchoires.

« A la guerre, l’Etat fournit les canons, les riches fournissent les bœufs et les pauvres leurs fils. La guerre terminée l’Etat reprend ses canons, les riches leurs bœufs et les pauvres comptent les tombes… » (Proverbe populaire). (…)

Arrivé à ce point, je devrais peut-être « m’excuser ». Je suppose que j’aurais dû m’exprimer sur mes luttes anti-carcérales au sein de la COPEL, de APRE(r), dans le mouvement des prisonniers en lutte… ma résistance aux tortures systématiques dans et contre le F.I.E.S.(2). Franchement je crois que tout cela est bien documenté et qu’il y a beaucoup d’archives sur ces thèmes.

Que ce soit dans la rue, au sein du quartier ou dans les prisons et leur « mode d’extermination », j’ai toujours rencontré de l’inspiration et des compagnon.ne.s avec qui combattre.

Maintenant nous nous trouvons face à un « Moloch » beaucoup plus raffiné (au plan technique et technologique) qui consiste à croire que « le moins mal est le meilleur ». La « social-démocratie » tente d’intégrer les organisations et groupes sociaux anti-parlementaires pour ses projets de « capitalisme vert ».

Certain.e.s d’entre nous travaillent depuis des années à construire un tissu socio-économique (coopératives agricoles, artisanes, etc.) qui opère en marge de l’Etat et de ses institutions. Tel est le chemin au côté de tous les projets qui convergent dans cette direction.

Aux congressistes réunis aujourd’hui : espérons de ne pas devoir attendre un autre centenaire pour que Vive l’Anarchie !

Gabriel Pombo Da Silva

Notes

1) Sur Gabriel Pombo da Silva, voir par exemple cette interview parue récemment dans un quotidien régional en Espagne https://www.lavozdeasturias.es/noticia/actualidad/2022/12/11/sigo-carcel-diez-anos-cumplido-condena/0003_202212G11P21993.htm

2) COPEL : Coordination des prisonniers en lutte ; APRE : Association des prisonniers des « régimes spéciaux » ; F.I.E.S : Fichier des détenus spécialement surveillés (une prison dans la prison).