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Depuis le résultat des élections européennes et l’annonce de la dissolution de l’assemblée nationale, la France connaît un épisode de frénésie politique avec la possibilité, pour le parti fasciste RN, d’accéder au pouvoir. On peut s’interroger sur les motivations de Macron qui aurait dit qu’il préparait depuis longtemps cette « grenade » pour la jeter dans les jambes des forces politiques. Veut-il reprendre l’initiative pour finir le boulot des réformes anti-sociales redoutables, dans un climat économique dégradé par la guerre en Ukraine, avec une assemblée qui serait plus à sa main grâce l’allié objectif qu’est le RN et une gauche affaiblie et divisée, dont certains éléments lui seraient utiles? Est-il poussé à agir ainsi par les milieux économiques qu’il sert ?

La première leçon à tirer des suites des élections européennes est la folie qui consiste à accepter comme allant de soi que le destin de toutes et tous soit suspendu aux calculs d’un homme, de sa bande et des intérêts qu’il sert. L’habitude de vivre dans de tels régimes a conditionné la majorité des gens, qui ne voient même plus ce que cet état de fait a de délirant.

A ce scandale de base, Macron ajoute sa perversité particulière : il libère le fascisme tout en prétendant y faire rempart. Ce président, élu deux fois grâce au suffrage des opposant.es au Rassemblement national a conduit à la situation où ce parti est, de loin, le premier de France et pourrait prendre le pouvoir.

Qui se souvient du début du FN avec le père Le Pen, nazi assumé, traité en paria du monde politique, mesure le chemin parcouru lorsque sa fille – héritière politique – parade dans une manifestation contre l’antisémitisme. On peut considérer que l’histoire politique française des quarante dernières années est celle de la mise en place des conditions cadres de l’ascension de l’extrême-droite. En effet, ce parti joue un rôle central dans le vie politique étant « utilisé » par toutes les autres formations. Tout d’abord à des fins électorales : le sketch permanent du « barrage républicain » et toutes les variations qu’il permet. Mais aussi à des fins idéologiques, comme réceptacle des frustrations et des rancœurs des victimes de la nouvelle donne néo-libérale.

Un FN/RN qui se renforce, c’est autant de forces qui ne vont pas ailleurs, par exemple dans des mouvements qui contesteraient le modèle économique dominant. Car, au fond, il s’agit, encore et toujours, pour la bourgeoisie et le capital, de se garantir contre toute remise en cause de l’ordre des choses. Et, pour cela, ils peuvent compter, sans aucun doute, sur l’extrême-droite. Déjà, Le Pen père ne cachait pas son admiration pour Reagan et Pinochet. Avec un RN au pouvoir, les dominants pourront dormir tranquilles. Au ressentiment des « petits blancs », le RN offre le débouché d’une solution nationale et raciale, sans jamais sortir du modèle capitaliste.

En cela, le RN ne diffère pas des partis socio-démocrates qui s’inscrivent eux-aussi dans ce modèle en France depuis 1983. Ceux-ci prétendaient que l’abandon du modèle keynésien libérerait les forces du marché et serait bénéfiques à tous. Pourtant, ces politiques fondamentalement identiques à celles de la droite, n’ont fait que péjorer les conditions de vie de la majorité, tout en permettant l’enrichissement des plus nantis. Il suffit de penser, très récemment, aux lois travail imposées par le gouvernement Hollande. Ce faisant, ces partis ont disqualifié toute idée d’alternative possible au capitalisme et n’ont offert, au nom de la gauche, que le désespoir comme perspective.

Un désir de fascisme

Ce sont ces conditions qui ont conduit à la situation actuelle où quarante pourcent de l’électorat vote pour des partis fascistes. La réduction de la politique à la conquête du pouvoir et un cadre capitaliste qui produit des inégalités toujours plus importantes ont abîmé les gens. Des régions entières sinistrées, comme le Nord-Est de la France, sont passées de la gauche au RN. L’espoir socialiste, au sens large du terme qui inclut tout l’héritage du mouvement ouvrier, a vécu. Ou plutôt, il a été mis à mort par la gauche elle-même.

De vote contestataire, le vote RN est devenu un vote de conviction. Celle que la résolution des problèmes de la « population blanche », envisagée comme seule authentiquement française, passerait par une politique raciste. Il faut prendre la mesure de l’importance du racisme en France aujourd’hui. Dans les années quatre-vingt, il était encore vaguement honteux. Désormais, dans une grande partie de la population, le racisme est accepté et la circulation des idées qui le promeuvent ne choque pas.

Tous les électeurs du RN ne sont pas fascistes mais tous sont, pour le moins, très à l’aise avec le racisme. On ne peut pas se contenter de les considérer comme des « fachés pas fachos », selon la formule démagogique de François Ruffin, quitte à laisser entendre que leur vote serait vierge de racisme. Hélas, le racisme est, en France, vieille nation coloniale, une histoire ancienne. Les travailleurs immigrés du Maghreb ont été odieusement traités en France, dès leur arrivée, et leurs arrière-petits-enfants ne sont toujours pas considérés comme des nationaux. Sans ce terreau, le RN n’aurait pas aussi facilement prospéré.

Le modèle ultra-libéral dominant, la validation de l’extrême-droite comme recours par la bourgeoisie, l’électoralisme de la gauche ont permis au RN de faire naître un véritable désir de fascisme dans une partie du pays.

Cette réalité ne se retournera pas par une alliance électorale entre des partis qui, hier encore, se vomissaient. La misère de l’électoralisme, qui favorise depuis des décennies le FN, va continuer de produire les mêmes effets : réduction de la politique à des manœuvres politicienne et déception au bout.

Un front populaire en carton

Les partis qui agitent le slogan de front populaire sont-ils en mesure de lui donner un contenu ? Ont-ils même l’intention de le faire ? Il ne faut pas oublier que tout cela ne se déroule que dans l’espace électoral. Les forces sociales sont singulièrement absentes. Et ce ne sont pas des manifs syndicales traîne-savates qui vont le créer. Se fixer des objectifs et mettre en œuvre les actions qui permettraient de les atteindre seraient un premier jalon pour renverser le rapport de force.

Y a-t-il une gauche qui serait prête à mener une politique de rupture ? Une politique qui bénéficie réellement à la classe ouvrière et aux plus pauvres entrerait nécessairement en collision frontale avec les directives européennes. Seule une force sociale déterminée et enracinée pourrait assumer un changement de perspective aussi profond. Une telle rupture ne peut être menée par des partis politiques dont l’action se situe surtout dans les parlements et autres institutions étatiques.

Même la France Insoumise ne va pas jouer ce rôle, toute occupée qu’elle est ces jours-ci à assurer ses positions, quitte à ressusciter, à nouveau, la gauche zombie du PS. Cette gauche, avec le choix de Glusckmann aux européennes et la position sur les massacres à Gaza des verts et du PS démontre, si besoin est, qu’elle fait partie du problème et, en aucun cas d’un début de solution. La France Insoumise est déjà travaillée par ce qui a coulé définitivement le PS. Une Clémentine Autain qui se déclare nostalgique de l’ère Jospin en est une illustration, certains de ses cadres ont des petits diners secrets avec le PS et un riche millionnaire, la direction du parti est plus qu’opaque, etc. C’est que la FI n’est plus le « jeune parti » du début mais un parti de notables avec des positions, des carrières, des ambitions. Réalité qui éclate avec l’épisode tout récent des investitures qui dissimulent des mesquineries recuites et des calculs politiciens sordides.

La référence au Front populaire est bien de l’époque : de la com. On évoque les congés payés, mais on oublie aussi que les mouvements sociaux d’ampleur (grèves et occupations d’usine) qui entraient en contradiction avec le jeu du gouvernement Blum ont été défaits par le jeu parlementaire et syndical de la gauche stalinienne et réformiste de l’époque. En échange de concessions, la possibilité d’une révolution sociale a été écartée. Rappelons au passage, la politique honteuse – de non-intervention – de ce Front populaire vis-à-vis de la Révolution espagnole en prise avec les puissances fasciste et nazie… Quelques années plus tard, certains des acteurs de ce Front populaire voteront les pleins pouvoirs au maréchal Pétain.

Tout cela sent le vide, le rien, la confusion et le mensonge. Cela fait longtemps que le système partidaire à gauche est une affaire de pros qui se disputent des parts de marchés. Les discours tenus ont la même consistance que des slogans publicitaires et changent au gré du marché. Ce qui est dit aujourd’hui est contredit le lendemain dans un mouvement permanent. Et que proposent-ils comme changement aux travailleurs, aux précaires, aux laissés-pour-compte ? « Changer leur vie, un peu, en mieux », dixit François Ruffin ces jours-ci. Le « un peu » dit tout. Et il précise « en mieux »… On ne sait jamais.

Au fond, il s’agit « au mieux » pour ce front populaire de gérer d’une façon, peut-être un peu différente, les conditions cadres du capitalisme français, de devenir une sorte de gros PS ou de gauche plurielle bis repentita. La population, dans tout ça, c’est un électorat, une clientèle à mobiliser. Les pans du corps social relégués par la gauche quand elle détient le pouvoir national, tout autant que localement quand elle gère leurs conditions de vie détériorées, devraient se rendre compte que leur intérêt est avec cette gauche. A ce prêchi-prêcha, l’abstention massive, par exemple, dans les quartiers est certainement une réponse politique aussi intelligente que pertinente.

La politique contre le mouvement social

Bien entendu, nous aussi, nous envisageons avec une inquiétude immense le possible triomphe du RN. Nous savons que cela rendrait la vie de millions de gens encore plus difficiles, notamment pour les étrangers, les personnes racisées, les femmes, les LGBTIQ+, etc. Nous savons que la répression des mouvements sociaux serait certainement pire avec une police déjà largement fasciste. Mais est-il satisfaisant de céder à l’injonction « nous ou le fascisme » de la part de ceux et celles qui ont conduit à cette situation avec le « barrage républicain » qui n’a fait que renforcer le RN en légitimant tous les gouvernements de droite les plus anti-sociaux ? Pour que, finalement, cette droite coopte le RN.

Plus que jamais, nous avons besoin, en France mais partout ailleurs en Europe de nous défaire du réflexe électoraliste qui ne fait que légitimer l’ordre des choses, sans cesse. Croire, à chaque fois, que ce coup-ci, ce ne sera pas pareil, qu’il n’y aura pas de trahison, que les élu.es seront honnêtes et probes. Ceux et celles qui ne votent plus, par lassitude ou désintérêt semblent en fait plus avancé.es que les électeurs de gauche qui semblent pouvoir toujours tout gober.

On sent ces jours un engouement des électeurs de gauche pour ce Front populaire. C’est tout à fait normal et compréhensible. Après la sidération et la peur, il est difficile de résister à l’enthousiasme pour des partis qui, au moins pour un temps, pourraient écarter le danger fasciste au niveau institutionnel. Mais il faut aussi être bien aveugle pour ne pas se rendre compte de ce qui se passe au travers des coups-fourrés permanents entre partis et à l’intérieur des partis. Et de ce que cela annonce pour la suite.

Nous l’avons vu, la gauche ne changera rien de fondamental au sortir de ces élections si elle est majoritaire. Mais, surtout, si elle perd, ce qui est l’hypothèse largement dominante, que va-t-il se passer ? Autre chose que dans les autres pays européens qui ont vu l’extrême-droite arriver au pouvoir ? La politique se fera-elle dans les mêmes institutions qu’actuellement ? On peut parier que celles et ceux qui prendront de plein fouet les effets délétères des politiques néo-libérales et réactionnaires devront – comme toujours – se débrouiller seul.es.

Ce dont nous avons besoin contre Macron, Bardella et leur monde, c’est d’un mouvement social autonome des partis politiques et qui retrouve une forme de pérennité comme ce fut le cas dans certaines organisations ouvrières et révolutionnaires du passé, syndicats ou autres. Un prolétariat qui se reconnait comme tel, par le biais des outils dont il se dote, est beaucoup moins perméable aux sirènes fascistes. Le RN n’est possible que parce que le désert social a été organisé depuis des décennies. Il n’y a pas d’autre option que de le repeupler. Est-ce possible et à quelles conditions ? c’est tout l’enjeu de la longue période à venir.

Mais rappelons-nous que l’histoire récente nous a montré que cela était possible. La seule chose qui a terrorisé Macron, c’est un mouvement social : les Gilets jaunes. Cette lutte qui trouvait son origine dans une certaine forme de ressentiment n’a pas pourri dans une forme fasciste, n’a pas nourri la gauche, mais, au contraire, elle a fleuri dans une forme de fraternité élargie et autonome. Ce mouvement était fragile et imparfait et il fut défait. Mais il fit trembler le pouvoir.

Il est notable que c’est de ce moment que date la grande accélération fasciste en France avec la répression féroce qui s’est abattue sur les ronds-points et les manifs. Le mouvement des gilets jaunes a été un véritable signal pour Macron et les intérêts qu’il sert. Il fallait serrer la vis. Dès lors, le pouvoir s’est employé à réprimer et criminaliser systématiquement le mouvement social : luttes écologistes réelles, actions syndicales, mouvement des banlieues, etc.

On ne peut s’empêcher de penser que, par exemple, une victoire sociale contre la réforme des retraites aurait changé la donne. A la place d’une victoire, ce fut la dernière fois en date où la gauche politique a montré son inutilité. Quant aux syndicats, Sophie Binet, secrétaire de la CGT, qui aujourd’hui s’empresse de faire de la politique en souscrivant au « front populaire », elle devrait quand même tirer les enseignements de son action et de celle de l’appareil de la CGT qui ont ajouté cette dernière perle au long collier des défaites sociales.

Analyser les récents événements avec lucidité, ne signifie pas faire preuve de condescendance vis-à-vis de celles et ceux qui se mobilisent. Nous soutenons sans réserve le mouvement contre le fascisme qui s’exprime dans les rues. Toute nouvelle génération est confrontée à des défis singuliers et difficiles. Celles et ceux d’entre-nous qui ont fait l’expérience de la lutte contre une dictature savent que l’enthousiasme et la naïveté politiques s’accompagnent souvent de lendemains amers… mais si on refuse le combat, on a perdu d’avance.