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Il est décidemment très difficile de s’intéresser aux élections présidentielles françaises : débats affligeants, candidats à l’état gazeux, population absente. Pourtant, au bout de ce processus, un pouvoir va recevoir sa légitimité et, dans le cas français, un roi va recevoir son onction.

Ce qui, déjà, frappe dans ces élections, c’est le naufrage des partis « classiques ». Le parti socialiste français est emblématique de ces entités zombies : coquille totalement désertée d’une social-démocratie trépassée, c’est une boutique dont les tenanciers ont pour seul horizon de remplir les caisses en élaborant des plans de sauvetage de leur personnel aux élections législatives qui suivront la présidentielle. Petits soldats de l’adaptation libérale de la France, ils ont perdu tout intérêt dans ce rôle avec la mise en place de la « synthèse » Macron. Synthèse qui met aussi à mal la droite d’une Pécresse même pas capable du gaullisme de ventriloque d’un Chirac.

Macron suffit. Il a fait le job attendu de la bourgeoisie pendant cinq ans et il s’apprête à le continuer pour un nouveau round. Sa victoire est une prédiction qui doit se réaliser. Tout y concourt (même le hasard d’une guerre au bon timing) et tous y concourent, au premier chef, les médias « de gouvernement ». Exemplairement, aucune des affaires en cours touchant ce président et son équipe ne fait l’objet d’un suivi de leur part. Pourtant, il y a de quoi faire : financement algérien de la campagne de 2017, mise en examen de plusieurs ministres, affaire McKinsey, etc. On connut journalistes et justice un peu plus pugnaces et véloces lors de « l’affaire Pénélope Fillon ».

La campagne électorale tient toute entière dans un mini-cirque, circonscrit aux rédactions parisiennes dont la tâche est de déterminer les sujets du moment et de distribuer des bons et des mauvais points aux candidats, en fonction d’échelles de valeurs qui mesurent la compatibilité avec l’existant. Par exemple, après le flicomètre (le candidat se doit d’adorer une police qui ne peut qu’être admirable et exemplaire), voici le poutinomètre qui mesure la pureté de la teneur en atlantisme de chaque candidat. On voit, par exemple, un candidat écologiste, particulièrement azimuté certes, soucieux de le faire chauffer en surenchérissant en bellicisme.

De ce barnum, la population est absente. Au mieux, des panels de français supposés moyens ornent des plateaux télé avides de leurs réactions chiffrées : « 20% pensent que machin est crédible ». Ce qui tient lieu de peuple, ce sont les sondages, une cotation en continu, comme à la bourse, des valeurs « politiques » du moment. Entre autres, on a vu un Zemmour, fraîchement coté, connaître un temps les faveurs de la bourse électorale et la tentative de mise sur le marché du produit Taubira faire un gros bide.

Le dispositif démocratique est réduit à son « minimum de véracité » : des têtes candidates et un appareil médiatique et sondagier restreint, acteurs d’une démocratie en carton-pâte grossièrement mise en scène : des buzz, des clashs, des punchlines. Exemplairement, un candidat « communiste » est aux anges de voir ses sorties riches en viande et en alcool lui faire gagner un point dans les sondages.

Tout cela est bien suffisant, car rien d’authentiquement politique ne se joue dans ces élections qui ne sont qu’un mode de distribution du pouvoir parmi les « élites ». Leur fonction est même d’évacuer le plus possible le politique. La garde médiatique veille : toute proposition doit être parfaitement conforme à l’existant et ne pas le compromettre. Ne sont reconnus valides que les propos qui garantissent de ne rien changer.

Toutes les questions aux candidats peuvent se résumer à celle-ci : « comment ferez-vous pour faire comme Macron ? ». Les propositions de Jean-Luc Mélenchon qui s’articulent autour d’une certaine redistribution des richesses sont jugées dangereusement déraisonnables, « extrémistes ». C’est qu’il y est, quand même, question d’argent. Celles d’un Zemmour sont plus acceptables. Au fond, ses fixettes identitaires et réactionnaires sont bonnes pour le show et, surtout, elles ne gêneront pas les réseaux de circulation du pouvoir et de l’argent. Elles pourraient même en arranger certains. Ses propos offrent en plus l’avantage de donner les coudées franches à Macron en termes de gestion migratoire, en lui ménageant une bonne marge de manœuvre « morale ».

En fait, les élections ne sont utiles qu’aux votants qui ont intérêt au maintien de l’existant. Ce sont, notamment, les 25-30% dont Macron semblent assuré quoiqu’il advienne. Dénoncer « l’illusion électorale » au nom de la question sociale n’a plus de pertinence, car plus personne ne croit aux élections comme moyen de changer véritablement la société. L’abstention qui s’annonce massive dans les classes populaires dit très bien cette nouvelle réalité.

A gauche, cette « illusion » résiste encore un peu dans le bulletin Mélenchon, témoin (fossile ?) de ce que la social-démocratie fut et on peut comprendre ceux qui s’accrochent à cet espoir. Mais qu’ils n’oublient pas que Mélenchon est aussi, ne lui en déplaise, l’héritier des trahisons sociales systématiques de sa famille politique. Pour les plus amnésiques, les exemples espagnols (Podemos) et Grecs (Siryza) sont encore chauds. Une France Insoumise miraculeusement victorieuse, combien de temps faudrait-il pour entendre le rappel au « principe de réalité » et à la nécessité de « sauver l’essentiel » en faisant des « concessions provisoires » ?

Cette campagne démontre une fois de plus que la politique électorale ne fait que traduire les rapports de force existants, elle ne les détermine pas. Ainsi, les programmes, les thématiques s’inscrivent tous dans la vision capitaliste dominante. Quand ce n’est pas le cas, leurs auteurs, eux-mêmes, les reconnaissent hors de propos, quand ce n’est pas par la parole, au moins par leur attitude. Un Philippe Poutou s’amuse, et amuse, en candidat hyper distancié et relax du NPA, quand la candidate de Lutte ouvrière est moins marrante mais tout autant larguée.

La rupture ne passera donc pas, une fois de plus, par le raccourci des urnes. Il va falloir continuer à construire en dehors de l’espace politique désigné comme tel par l’oligarchie au pouvoir. La séquence Gilets Jaunes a démontré que des possibilités assez larges existaient en dehors de ces zones balisées. Mais elle a aussi montré la difficulté à durer, à inventer et à grandir à tous les sens du terme.

Il n’y a donc pas de baguette magique surtout face à un État répressif qui ne lâchera rien. D’autant plus lorsque la période à venir s’annonce, selon Joe Biden, placée sous le signe de la lutte « entre la démocratie et l’autocratie ». Le fait de connaître des élections va ranger automatiquement un régime dans le camp du bien. Et, donc, tout ce qui le remet en cause dans l’autre. Nous voilà prévenus.