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Il est habituel de manifester le 1er mai, dans le monde entier, pour commémorer les luttes de la classe ouvrière pour la journée de travail de huit heures. Une revendication qui est d’ailleurs toujours d’actualité, notamment dans un pays comme la Suisse. Ce rendez-vous trouve son origine dans des événements qui inscrivent les anarchistes dans la longue durée d’un combat, contre le capitalisme et la violence d’Etat, qui reste d’actualité.

Les martyrs de Chicago

C’est en 1886, aux Etats-Unis, que la première grève générale pour les huit heures de travail est convoquée par des organisations ouvrières. A Chicago, ce mouvement qui s’étend sur plusieurs jours, va avoir des conséquences particulièrement tragiques. Le 3 mai, une manifestation devant l’usine de tracteurs McCormick est victime des tirs des milices patronales. Le lendemain une manifestation de protestation, qui rassemble plus de 15’000 personnes, a lieu sur Haymarket. A la fin de celle-ci, quelques 200 policiers de Chicago chargent brutalement la foule qui se retire… C’est alors qu’une bombe est lancée dans leur direction. Plusieurs agents sont tués. Suivront les arrestations d’anarchistes, meneurs de la grève ou rédacteurs de l’Arbeiter Zeitung (journal d’émigrés allemands). Après un procès inique les huit accusés sont condamnés sans preuves à la pendaison. La peine sera commuée à la prison pour trois d’entre eux. Malgré des mobilisations internationales, George Engel, Adolf Fischer, Albert Parsons et August Spies sont exécutés le 11 novembre 1887. La veille Louis Lingg s’est suicidé dans sa cellule. Ils seront réhabilités six ans plus tard (et les trois survivants libérés de prison) par un nouveau gouverneur de l’Illinois qui conclura à leur complète innocence dans l’affaire de la bombe.

Bruit de bottes

Malgré les « avancées » qu’on nous vante, la répression contre les adversaires du système et les exploité-e-s n’a pas disparu, ni aux Etats-Unis et ni ailleurs : violences policières, « erreurs » ou plutôt acharnement judiciaires, peine de mort… Les Etats, dits démocratiques, n’ont pas changé de nature : ils sont au service du système capitaliste et susceptibles d’adopter des formes autoritaires, dictatoriales ou fascistes, quand les élites se sentent en danger. En ce moment, en France et en Espagne, on entend le bruit des bottes… L’épisode hexagonal des généraux de réserve qui signent une tribune évoquant le « délitement » de la France et le risque de « la guerre civile » dont les morts « se compteront par milliers » – à laquelle Marine Le Pen a apporté son soutien – fait écho à ces lettres adressées récemment au roi d’Espagne, par des dizaines de hauts gradés militaires retraités, dénonçant « le gouvernement socialo-communiste appuyé par des philo-ETA et des indépendantistes ». L’un des signataires n’hésitant pas à ajouter dans un « tchat » qu’il faudrait « fusiller 26 millions de fils de pute »… A ces menaces et gesticulations, s’ajoutent les prestations des fascistes qui se déchaînent à longueur de plateau contre l’« islamo-gauchisme », ou qui instrumentalisent le rejet des mesures anti-covid. En créant la confusion, en propageant des amalgames simplistes, le fascisme répond aux besoins des capitalistes de mettre leurs profits et privilèges à l’abri. Il vise à terroriser les mouvements sociaux et à contrôler la classe ouvrière. L’« Etat providence » qui prétendait lutter contre la fracture sociale est en déclin et sert désormais avant tout le patronat. Aux plans de relance succèderont de nouvelles « cures d’austérité » qui poursuivront le démantèlement des services publics (santé, formation…). Désormais, c’est l’Etat régalien (armée, police…) qui domine. On le voit à la manière dont les gouvernements sont parvenus à annihiler, grâce à la crise sanitaire, les mouvements de contestation qui avaient pris de l’ampleur ces dernières années.

Souverainisme ou internationalisme ?

A la faveur de la pandémie, on voit se développer des courants souverainistes d’extrême-droite, mais aussi issus d’une certaine gauche, qui prétendent redonner le pouvoir au peuple en défendant la primauté de la nation. Il faut dire que l’absence de réserve stratégique de masques et d’autres produits a battu en brèche les dogmes du zéro stock et du flux tendu. De plus, l’incompétence et les conflits d’intérêts de la Commission européenne ou l’OMS ont été mis à nu. Il n’en reste que le « réveil des Etat-nations » ne manquera pas d’exacerber les divisions et les conflits. La suite logique de cette orientation nous la connaissons : c’est la préférence nationale, la xénophobie, la recherche de boucs émissaires parmi les « étrangers » ou celles et ceux qui seront considérés comme des traîtres à la patrie… On peut refuser le nationalisme et être favorables aux circuits courts, car les porte-conteneurs qui sillonnent les mers, remplis de fringues et de gadgets, ou les camions qui traversent l’Europe chargés de pains précuits constituent l’une des plus grandes absurdités du système libéral et une source inépuisable de pollution. La cause de ces trafics n’est ni la qualité des marchandises, ni l’efficience de leur fabrication, mais la recherche du prix le plus bas, obtenu en imposant des salaires de misère à celles et ceux qui les produisent. Nous sommes internationalistes. Ce qui n’implique pas seulement de chanter le célèbre poème du communard Eugène Pottier à la fin des congrès ou des manifs. Cela implique surtout de soutenir les luttes des exploité-e-s partout sur la planète. Pour cela, il nous faut reconstruire une perspective commune.

Un monde du travail atomisé

Marx et les marxistes considéraient que les grandes industries qui supplantaient l’artisanat entraînaient une socialisation du travail du fait du regroupement, dans de mêmes lieux, d’un grand nombre de prolétaires. Avec le développement de cette « armée industrielle », la bourgeoisie aurait produit « ses propres fossoyeurs. Sa chute et la victoire du prolétariat [était] donc inévitable » (Manifeste du Parti communiste). Cette conception a fait long feu. Le monde du travail est de plus en plus atomisé. Les méthodes du management individualisent les conditions de travail en fonction d’objectifs fixées par la hiérarchie. Nous sommes appelés à auto-évaluer nos performances. La concurrence entre les salarié-e-s est exacerbée. Sur un même lieu de travail, on rencontre des personnes soumises à des statuts différents : fixe ; à temps partiel ; sur appel ; stagiaire ; intérimaire ; personnel détaché ; autonome… Avec la « crise » de la covid, la situation s’est encore aggravée : télétravail ; télé-enseignement ; essor des livraisons à domicile ; ubérisation ; chômage partiel ; licenciements… Une restructuration d’ampleur est à l’œuvre. Le syndicalisme qui s’affirmait « réformiste » et politiquement « neutre » montre son impuissance. Les mobilisations syndicales sont rares et débouchent souvent sur des échecs. Les porte-paroles sont devenus des lobbystes qui fréquentent les hautes sphères, la base n’a pas son mot à dire. Logiquement ce terrain est abandonné par les gens les plus radicaux qui s’engagent pour le climat, le féminisme et autour du territoire (ZAD, squats…). On nous dit que les temps ont changés, que le dérèglement climatique qui met en péril la vie sur notre planète constitue la priorité absolue. D’un autre côté, l’exploitation par le travail serait devenue secondaire face à d’autres formes de privilèges, tels que ceux qui découlent des « identités ». Loin de nous l’idée de négliger ces problèmes, mais nous ne devons pas non plus oublier d’où nous venons. Le mouvement anarchiste appartient au mouvement ouvrier. Ce n’est pas parce que la « deuxième gauche » s’est convertie au libéralisme économique ; ce n’est pas parce que les systèmes dits « socialistes » reposant sur un parti unique et la planification centralisée finissent dans les poubelles de l’histoire, qu’un projet de société basé sur l’égalité économique et l’auto-organisation n’aurait plus de raison d’être.

Ne laissons pas le monde du travail hors de nos préoccupations

Nous ne pouvons pas laisser le monde du travail en dehors de nos préoccupations militantes. Déjà parce la plupart d’entre nous travaillons d’une manière ou d’une autre. Pour pallier à la dispersion actuelle, nous pouvons déjà partager les problèmes que nous rencontrons dans notre activité professionnelle avec les gens avec qui nous luttons sur d’autres terrains et être à l’écoute de ce que d’autres endurent dans ce domaine. Cela doit cesser d’être un sujet tabou. Dit autrement, plutôt que de recourir aux syndicalistes professionnels ou autres « spécialistes », nous pouvons intervenir chaque fois que c’est utile et possible, en recourant à l’action directe et en nous organisant de manière horizontale, comme nous savons le faire pour d’autres luttes. Du fait de nos valeurs et de notre projet de société, nous sommes mieux armé-e-s que d’autres pour mener une critique du contenu de notre travail, critique que nous pouvons partager avec des collègues qui ne fréquentent pas habituellement nos milieux. Ce « droit de regard » concerne aussi les activités polluantes ou dangereuses et les injustices que nous pouvons observer et dénoncer… Ce serait une erreur de laisser le terrain des entreprises et des services sous l’influence exclusive des idéologies libérales ou nationalistes. Même si le système capitaliste essaie par tous les moyens (robotisation, informatique…) de réduire la masse des travailleuses et travailleurs, il ne peut pas encore s’en passer. C’est aussi dans certains secteurs économiques (production, distribution, transports, communication…) que nous pouvons lui faire le plus mal. La lutte des classes n’est ni évidente, ni facile, mais il y a des enseignements à tirer des combats du passé et de ceux que mènent aujourd’hui nos camarades dans le monde.