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1905 Greve des Porcelainiers de Limoges barricades

1905 Grève des porcelainiers de Limoges (barricades)

Quand nous avons commencé ce feuilleton il y a quelques mois, nous avions évoqué la grande grève des sardinières de 1924, célébrée par une borne explicative dans le port de Douarnenez, non loin du terrain vague de l’ancienne usine rouge. Cette mobilisation avait été précédée par une autre grève des ouvrières des conserveries, en 1905, qualifiée de « répétition générale » par l’auteure[1] qui nous a inspiré ce feuilleton.

Que sait-on de cette grève de 1905 ?

En janvier de cette année-là, c’est une grève générale qui éclate à Douarnenez. Elle rassemble les principaux corps de métiers à l’exception des marins-pêcheurs qui se retrouvent cependant en chômage, car les conserveries de poisson sont arrêtées. Ce mouvement n’est pas un coup de tonnerre dans un ciel serein. La fin du XIXe siècle avait été émaillée de nombreuses grèves qui avaient donné naissance, en 1896, aux premiers syndicats des marins-pêcheurs et des ouvriers-soudeurs de la région.

En 1905, l’initiative part du leader des ouvriers du bâtiment, Louis Jéquel (1875-1922) qui poursuivait à la fois, nous dit-on, des buts syndicaux et politiques. Socialiste, son objectif aurait été de gagner le vote ouvrier qui allait alors majoritairement aux radicaux.

C’est aussi la grande époque du syndicalisme révolutionnaire. Les dirigeants de la CGT conçoivent les « grèves partielles » comme une « gymnastique » qui prépare la « grève finale » dont l’aboutissement aurait dû être la reprise en main de l’économie par la classe ouvrière.

Nous nous situons donc dans un entre-deux : d’une part le début de l’intégration du mouvement ouvrier par le biais de l’électoralisme, d’autre part le rejet du système par la mobilisation ouvrière.

Dans les conserveries, il y a une catégorie de travailleurs : les soudeurs, qui luttent depuis des années. Un ouvrier-soudeur est payé 1,60 F pour 100 boîtes, les plus capables en soudent 60 ou 70 par heure (les boîtes sont fermées une à une avec un fer à souder et un bâtonnet d’étain). L’ouvrière de conserverie, payée au mille (mille sardines travaillées) gagne en moyenne 12 F par semaine pour 14 heures de travail quotidien, samedi compris, ce qui fait environ 15 centimes de l’heure, au lieu d’un franc pour le soudeur !

Il y a aussi eu des soudeuses, nettement moins payées que les hommes (60 centimes au lieu de 1,60 F les cent boîtes). Plutôt que d’exiger un salaire égal, les soudeurs sont parvenus à les exclure du métier en 1896 à la suite d’une grève. Mais voilà qu’un autre danger les menace, les sertisseuses : des machines qui permettent de souder 300 à 400 boîtes de l’heure. Quelques années plus tôt, au tournant du siècle, ces travailleurs bien organisés dans une Fédération des ouvriers ferblantiers-boîtiers de France ont saccagé l’usine Masson et détruit ces machines qui menaçaient leur métier.

En 1905, leur résistance se poursuit. Elle sera finalement vaincue en 1909, quand les sertisseuses seront introduites dans certaines usines, sous la protection de l’armée ! Ils finiront par accepter des salaires dévalués dans les conserveries qui les emploient encore ou partiront dans d’autres pays comme la Belgique ou le Portugal.

L’échec et le déclin des soudeurs est emblématique de la fin d’un monde, celui de ces travailleurs qu’en 1870 le patron Denis Poulot[2] appelait les « sublimes » : des ouvriers qui tiraient leur force de la connaissance du métier – fruit d’un long apprentissage – et qui posaient au patron « toutes les conditions qui leur plaisaient ». Selon Poulot, ces « sublimes » devaient être remplacés par des machines que « le premier venu » pouvait conduire…

Seules les sardinières sortiront victorieuse de la grève de 1905. Elles obtiendront d’être payées à l’heure et non plus au « mille » – un système qui permettait l’arbitraire patronal : la tâche accomplie étant sous-évaluée. Commencé en janvier, le bras de fer dure jusqu’à la fin août. Le patronat est très dur. A peine a-t-il cédé sur le salaire horaire qu’il essaie de réintroduire des différences entre certaines travailleuses comme les étêteuses dont l’habileté, résultat d’un long entraînement, lui est nécessaire – à qui il propose des horaires de dix heures quotidiennes – et d’autres, moins qualifiées, qui ne travailleraient que quatre heures par jour. Alors la lutte reprend… Diviser pour régner, tous les moyens sont bons. Les patrons s’appuient sur le clergé qui menace les grévistes d’excommunication et qui encourage la création d’un syndicat « jaune ». Finalement, les usiniers annoncent qu’ils vont acheter moins cher le poisson, sachant que les ouvrières sont presque toutes épouse ou fille de marins. Les femmes ne sont pas impressionnées par ces menaces, susceptibles de rééquilibrer les apports de chacun des sexes aux ressources de la famille.

Être payées à l’heure plutôt qu’à la tâche a certainement renforcé la solidarité entre les travailleuses, mais le rapport de travail change aussi de nature : on vend son temps en assurant implicitement que le travail sera fait. Ce sont les prémisses de la normalisation du salariat tel qu’on le connaîtra par la suite. On est certes encore loin de la mensualisation qui ne concerne alors que les contremaîtresses et les commises qui négocient le prix du poisson sur le port, soit tout au plus quatre ou cinq femmes par usine.

Alors que la classe ouvrière renforce son autonomie en créant ses syndicats et en s’affrontant au patronat et au clergé, elle voit aussi s’éloigner la perspective révolutionnaire… nous y reviendrons quand nous évoquerons la grève générale de 1906 pour les huit heures.

 

[1] Anne-Denes MARTIN, Les ouvrières de la mer. Histoire des sardinières du littoral breton, Paris, L’Harmattan, 1994.

[2] Denis POULOT, Le sublime ou le travailleur comme il est en 1870, Paris, Maspero, 1980.