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Quand nous avons commencé le feuilleton de l’Usine rouge, nous voulions traiter du mouvement ouvrier à partir d’une lutte emblématique. Pourtant, en débutant par un panorama des origines et du contexte de celle-ci, nous avons insensiblement dérivé vers des questions sociétales. Sommes-nous victimes de l’air du temps ?

A l’heure du « mariage pour tous », vivons-nous un moment où les capitalistes et les gouvernants n’ont plus besoin de brimer les désirs sexuels des gens pour imposer leur domination ? Est-il dépassé d’évoquer l’histoire de la répression sexuelle ou pouvons-nous encore en tirer des enseignements ? Avons-nous connu un progrès continu dans la libération des mœurs ? Ou bien au contraire, y a-t-il eu dans l’histoire, des avancées et des retours en arrière en ce qui concerne la répression des pulsions sexuelles ? Et plus généralement, quels peuvent-être liens entre les luttes « sociétales » (féministes, LGBT, antiracistes, etc.) et celles pour l’égalité sociale ? En nous interrogeant sur ces questions, nous sommes tombés sur différents textes mentionnant la répression féroce de la masturbation par l’église, mais aussi par la « science ». Ainsi, nous avons jugé utile de faire cette petite parenthèse.

La condamnation de la masturbation par les religions est assez générale que ce soit dans le judaïsme, le christianisme, l’islam, le bouddhisme… La violence et l’intensité de ce rejet a varié suivant les époques. Si l’on se limite à la chrétienté, jusqu’au 11e siècle, la masturbation est considérée avec beaucoup plus d’indulgence que les autres « péchés de chair ». Une évolution répressive se produira les siècles suivants avec le calvinisme notamment, mais aussi la contre-réforme. Au 18e siècle, la médecine vint au secours de la religion pour dénoncer les prétendus périls l’autosatisfaction sexuelle. D’une pratique réprouvée, mais bénéficiant d’une certaine tolérance, celle-ci allait devenir sous la plume de médecins comme le docteur lausannois Samuel Auguste Tissot (1728-1797) un danger mortel pour la santé, la source universelle de presque toutes les maladies.

Parmi les « remèdes » recommandés pour lutter contre ce mal, la circoncision – défendue notamment par le Dr John Harvey Kellogg (celui des corn flakes) – a rencontré un véritable succès qui perdure de nos jours. Depuis lors, la plupart des garçons des Etats-Unis et du Canada sont circoncis. Des mutilations, comme la castration ou l’excision furent aussi préconisées par certains médecins ! Dans les faits, c’est une véritable hystérie contre le « vice solitaire » qui s’empara de l’Occident et qui connut son apogée entre la seconde moitié du 19e et le début du 20e siècle.

Selon l’historien Jacques Solé, ce mouvement qui s’en prenait, à la suite de la religion, à toutes les formes de sexualité non reproductive était lié à « l’embourgeoisement général des mœurs ». En terrorisant les familles soucieuses de la santé de leur progéniture, par des brochures et des ouvrages édifiants, ce processus répressif se développa d’abord dans les milieux bourgeois. Ensuite, il pénétra progressivement les milieux populaires, grâce à l’alphabétisation générale. Il allait empoisonner la vie d’innombrables personnes, provoquant des troubles psychiques en prétendant les guérir !

Sur le plan de la psychiatrie, il faudra attendre des penseurs comme Sigmund Freud pour attribuer, à partir de 1905, l’accroissement des maladies nerveuses à la répression des pulsions et présenter la satisfaction sexuelle (solitaire ou non) comme bénéfique. Auparavant déjà, des anarchistes préconisaient l’amour libre…

La détestation du corps que manifeste la répression de la masturbation n’a plus pignon sur rue en Occident. Pourtant, des puritains et des obscurantistes sont à l’affût. Il suffit de voyager un peu sur le net pour rencontrer des religieux qui recommandent de ne pas se masturber, car c’est un pêché ou une absence de maîtrise de soi (soyons modernes !). Leur influence est difficile à mesurer, mais on serait sans doute étonné. Dans d’autres domaines, ils sont bien plus visibles. La « manif pour tous » en France montre que rien n’est définitivement gagné. Nous y reviendrons autour de la question homosexuelle, dans un prochain épisode.

Certes, la pub pour un harnachement servant à obliger les enfants à dormir les bras en croix, n’est pas la première image que l’on trouve quand on tape « masturbation » sur un moteur de recherche et nous devrions aussi nous interroger sur le conditionnement de l’imaginaire qu’implique la pornographie. Le pouvoir de « dire » ce qui est sexuellement recommandable n’est pas anodin et continue d’être un enjeu important pour les dominants quels qu’ils soient.

 

Bibliographie

Aurélie Godefroy, Les religions, le sexe et nous, Paris, Calmann-Lévy, 2012

Blandine Pénicaud, Vincent Vidal-Naquet, Les révolutions de l’amour. Sexe, couple et bouleversements des mœurs de 1914 à nos jours, Paris, Perrin, 2014

Patrick Pognant, « Les interdits hors la loi : la répression institutionnelle et médicale de la sexualité (1850-1930) », Droit et cultures [En ligne], 57 | 2009-1, mis en ligne le 08 septembre 2009, consulté le 03 mai 2015. URL : http://droitcultures.revues.org/1301

Jacques Solé, L’amour en Occident à l’Epoque moderne, Paris, Albin Michel, 1976.