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31 août 1923 – 6 janvier 2017

Un compagnon très cher nous a quitté. Celles et ceux qui ont eu la chance de partager avec lui des moments de vie, ne l’oublieront jamais. Militant de la CNT-AIT[1], son courage face à l’oppression franquiste, ainsi que sa droiture et sa volonté de défendre l’anarcho-syndicalisme font de lui un référent incontournable pour l’anarchisme militant.

Fils d’un militant ouvrier de la CNT et du POUM[2], tué dans les tous premiers jours de la résistance au coup d’Etat militaire franquiste, José Luis García Rúa a connu les camps de concentration du sud de la France (Barcarès…) où les autorités françaises parquèrent les exilés espagnols sur les plages. C’est de là qu’il retournera dans sa ville natale : Gijón, à la fin de 1939, pour subvenir aux besoins de sa mère et de sa sœur gravement malade. N’ayant pas encore 17 ans, il échappe à la répression.

Travailleur du bâtiment, mineur, puis ouvrier dans un atelier métallurgique, il étudie le soir, puis obtient une bourse d’études et devient professeur de philosophie. Après avoir soutenu une thèse sur Sénèque, il enseigne à l’Université de Salamanque mais, comme d’autres, il ne supporte pas l’univers étriqué de l’Espagne des années 50 et émigre en Allemagne. C’est dans ce pays qu’il rencontre Gisela Wiedemann qui sera dès lors sa compagne (jusqu’à son décès en 2010). Nous avons ici une pensée émue pour cette femme chaleureuse et dévouée qui nous a si souvent reçus et si bien conseillés, quand nous étions ses voisins dans le quartier le plus populaire de Grenade. En ces heures de deuil, nous nous souvenons aussi de leur fils Emilio García Wiedemann décédé en 2012.

ASTURIAS, 1962, 1963, 1964… Picasso

De retour à Gijón en 1958, « une main derrière et l’autre devant » José Luis gagne alors sa vie en donnant des cours particuliers, avant de créer une école « pour la classe ouvrière » qui prospère pendant quelques années, tout en subissant des persécutions policières qui entraîneront finalement sa fermeture. D’abord en relation avec des opposants au régime de différents courants politiques, il noue des contacts avec la CNT clandestine qu’il rejoint en 1969, après avoir vu le parti communiste trahir une grève de 5’000 mineurs.

Une partie de la vie de José Luis se déroule dans sa région natale des Asturies, berceau d’une classe ouvrière héroïque qui a connu des grèves massives dans les bassins miniers du Nalón et du Caudal, comme celle de 1962 qui a fait vaciller le régime franquiste, alors qu’il se croyait sorti de l’isolement international. Ce contexte a certainement marqué notre compagnon, comme il a marqué certains d’entre nous, même si nous étions plus jeunes.

Tant par le biais de l’école, que par la promotion d’activités sociales et culturelle (théâtre, etc.) à Gijón, José Luis s’efforce, avec ses camarades, d’entrer en contact avec un maximum de personnes politisées ou non. Il s’agissait de sortir, tant que faire se peut, de la clandestinité, d’ouvrir des espaces de liberté. Nous gardons le souvenir de l’une de ses conférences, l’été 1975, à laquelle assistait une centaine de personnes – dont des familles avec de jeunes enfants – dans un local associatif, dont les portes et les murs extérieurs étaient barbouillés de menaces fascistes.

ASTURIAS, 1962, 1963, 1964…

Durant la Transition, il a su maintenir une attitude cohérente et loyale envers le mouvement ouvrier, alors que le régime dictatorial se recyclait en une pseudo-démocratie, avec la complicité de l’ensemble des forces de gauche. Il fallait avoir du courage dans les années 70 et au début des années 80 pour s’opposer à l’offensive de la « modernité » qui enterrait gaiement le passé, considéré comme inopérant et peu sexy. La « mémoire historique », que les bien-pensants de la « gauche divine » considèrent désormais comme incontournable, n’était alors défendue que par très peu de gens.

A cette même époque (fin des années 70 et années 80), la CNT souffre de répression et connaît de graves tensions qui ont donné lieu à des scissions et qui ont déstabilisé pour longtemps l’organisation. La généralisation d’un système de collaboration de classe dans le monde du travail (élections syndicales et comités d’entreprise) a constitué un défi pour l’anarcho-syndicalisme. Pour l’oligarchie espagnole, il s’agissait de normaliser la classe ouvrière qui sortait de la dictature avec une fort potentiel de radicalité.  Avec ces mécanismes de collaboration de classe, la bourgeoisie et le pouvoir tentaient d’achever la domestication du monde du travail. José Luis a fait partie de ceux et celles qui se sont opposés frontalement à cette entreprise de récupération et qui sont parvenus à maintenir le cap, contre vents et marées, d’un anarcho-syndicalisme conséquent et radical.

Sur le plan professionnel, après moult difficultés et pérégrinations, José Luis obtiendra un poste à l’Université de Grenade, de laquelle il sera professeur émérite. Au plan militant, il assumera des responsabilités aussi bien au plan régional que national et international et sera à plusieurs reprises secrétaire de la CNT-AIT, directeur du journal CNT, ainsi que secrétaire de l’AIT (1997-2000).

Son souci de maintenir les liens fraternels avec les camarades, l’a souvent amené à se déplacer à l’extérieur de l’Espagne. Nous gardons le souvenir d’une conférence donnée à Paris au début des années 80, à la rue des Vignoles, où il a défendu le combat que menait alors la CNT pour conserver ses sigles face aux scissionnistes promoteurs d’une organisation « rénovée » (participant aux élections syndicales…) : la future CGT espagnole. Face à lui, nous avons été surpris d’entendre des « maximalistes » lui reprocher d’utiliser des moyens légaux pour défendre l’identité de l’organisation.

Nous nous rappelons aussi d’une rencontre à Pau, en 1996, à l’occasion d’un colloque organisé dans le cadre de l’Université, pour les 60 ans du début de la Guerre d’Espagne. José Luis avait été invité à présenter une communication sur les événements de mai 1937 à Barcelone. Très présent et actif durant les premiers débats, il nous avait ensuite beaucoup inquiétés, car il était tombé sérieusement malade et n’avait pas pu donner sa conférence ! Sa contribution a été transcrite dans la publication qui a suivi l’événement[3].

José Luis était comme ça, toujours disposé à transmettre ses connaissances, jusqu’à la limite de ses forces. Encore récemment, il prenait la parole en public ; par exemple, quand il avait été invité par l’assemblée du mouvement du 15M à s’exprimer sur l’une des places de Grenade, il avait pu attirer l’attention sur les risques de récupération politicienne du mouvement. La suite a donné raison, une nouvelle fois, à celui qui avait été accusé trente ans plus tôt de n’avoir pas compris la nouvelle donne de l’Espagne « moderne et démocratique » qui allait, paraît-il, résoudre la question sociale.

En rédigeant ces notes beaucoup de choses nous reviennent à l’esprit, mais nous en resterons là. Nous garderons le souvenir d’un compagnon généreux et exigeant dans les débats qui furent parfois rudes, mais toujours fraternels. Inoubliable compagnon, hasta siempre.

Ariane Miéville         José Luis García González

 

Notes

[1] Confederación Nacional del Trabajo, section espagnole de l’Association internationale des travailleurs (AIT).

[2] Partido Obrero de Unificación Marxista, parti de la gauche communiste anti-stalinienne.

[3] Les Espagnols et la guerre civile. Textes rassemblés et présentés par Michel PAPY, Biarritz, Atlantica, 1999.

 

Pour en savoir plus sur José Luis García Rúa, voir par exemple :

http://www.portaloaca.com/historia/biografias/1159-memorias-de-jose-luis-garcia-rua.html

http://www.lavozdeasturias.es/amp/noticia/asturias/2017/01/07/semblanza-jose-luis-garcia-rua/00031483814577582410908.htm

http://elpais.com/autor/jose_luis_garcia_rua/a