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Les journées libertaires 2017 ont été l’occasion de nous pencher sur les mouvements d’occupations des places qui ont débuté en 2011 et sur leurs conséquences à travers les exemples espagnol, américain et grec. Pour se faire nous avions invité Giorgos, un militant anarchiste grec, Carlos Taïbo, un intellectuel altermondialiste espagnol qui a participé au mouvement du 15 M (improprement appelé mouvement des indignés en France), Alberto, un militant de la CNT de Barcelone et Mark Bray, militant anarchiste américain qui a participé à Occupy Wall Street et qui est l’auteur d’un livre sur le sujet.

Premier constat, par leurs revendications, leurs pratiques et leurs compositions, ces mouvements portent une importante connotation libertaire. « Ils ne nous représentent pas » traduit bien la critique du système de démocratie représentative qui est commun à ces trois mouvements. En Grèce, le retour à la démocratie réelle était également la première des revendications et la majorité des activistes d’Occupy Wall Street se disaient partisans de la démocratie directe. Le puissant mouvement anarchiste grec a été partie prenante de ce mouvement. Aux Etats-Unis, 39% des activistes d’Occupy Wall Street se déclaraient anarchistes tandis qu’un tiers supplémentaire se disaient anticapitalistes et partisans de la démocratie directe. En Espagne, les militants anarchistes et anarchosyndicalistes, ceux des centres sociaux autogérés, les pacifistes et les partisans de l’écologie radicales ont participé au 15 M. Cela fait dire à Carlos Taïbo que le mouvement du 15 M est une adaptation du mouvement altermondialiste à la crise. Une réponse plus nationale, moins internationaliste et qui n’intègre pas les peuples des pays du Sud, mais aux pratiques très intéressantes. En effet, le fonctionnement horizontal et les pratiques d’action directe, notamment sur la question du logement, apportent un caractère libertaire au mouvement espagnol.

Mais ces mouvements sont également porteurs d’une composante citoyenniste beaucoup moins radicale. Giorgos souligne qu’en Grèce, les assemblées qui occupaient les places se voyaient comme des regroupements de citoyens, jamais comme des assemblées de travailleurs, ce qui a donné au mouvement un caractère interclassiste. Le consensus s’est alors fait sur des revendications modérées : on condamnait la finance, pas le capitalisme, la corruption et non l’exploitation. Si Alberto faisait une observation semblable dans son analyse sociologique du 15 M, Carlos Taïbo préférait insister sur la dualité du mouvement, en distinguant le 15 M à proprement parler des indignés. La première tendance a proposé au mouvement la perspective d’espaces et de luttes autogérés, autonomes et en dehors de la marchandisation, dont l’élan est bien plus important qu’avant 2011. Les indignés en étaient souvent à leur première expérience de lutte. Ils appartiennent à la génération qui n’a connu que la crise et qui ne remet pas en cause le système méritocratique : ils lui reprochent son inefficience. Pour cette tendance, le mouvement devait élaborer des revendications à l’attention des gouvernants. De même, le mot d’ordre « Ils ne nous représentent pas » a été compris différemment : comme un refus du système parlementaire pour le 15 M, comme un refus du bipartisme pour les indignés. Mark Bray a constaté cette même dichotomie dans Occupy Wall Street qui a créé un fossé entre les occupants les plus investis, à sensibilité libertaire et les sympathisants du mouvement. La dualité de ces mouvements a permis l’émergence de partis politiques qui ont récupéré une partie des mécontents.

Mark Bray voit dans le phénomène Bernie Sanders une traduction de l’expression d’une partie des sympathisants d’Occupy Wall Street. En Espagne, la montée en puissance de Podemos ne doit pas laisser penser que ce parti est l’émanation du mouvement du 15 M. Il n’y a pas de généalogie entre les deux : le mouvement du 15 M était horizontal, il rejetait le personnalisme et n’avait pas de programme clairement établi. Podemos est un parti politique traditionnel, hiérarchisé, avec un leadership clairement établi et un programme socio-démocrate. C’est un parti qui pose des questions pertinentes sur la légitimité du régime : sur la corruption, le bipartisme, la monarchie… mais qui ne remet pas en question le capitalisme, l’aliénation, le salariat, la marchandisation, la société patriarcale, les guerres coloniales, et n’aborde ni l’écologie, ni le possible collapsus du système. Podemos cherche à réunir le maximum d’électeurs, couvrant un spectre idéologique de plus en plus large et de plus en plus flou. Pour se faire, il ne remet pas en cause la relation au travail dans le système capitaliste, il rejette la décroissance qui n’est pas un thème vendeur et adopte un discours patriotique et citoyenniste. Il envisage des alliances avec le PSOE qui est un des piliers de la caste qui domine l’Espagne. C’est ce qui fait dire à Carlos Taïbo que c’est une bonne porte de sortie pour le système qui est en difficulté de par la corruption et l’inefficacité de ses dirigeants actuels.

D’ailleurs lorsque ces partis arrivent au pouvoir, le masque tombe. Alberto a justement souligné la faiblesse de Podemos sur le terrain social : le syndicat qu’il a tenté d’impulser ne fait pas de syndicalisme et la mairesse de Barcelone, arrivée au pouvoir, a appliqué des politiques hostiles aux travailleurs plus dures que celles pratiquées par la municipalité précédente de la droite catalane ! De son côté, Taïbo souligne que la montée en puissance de Podemos a eu un effet démobilisateur : sa réponse affirme qu’il faut résoudre les problèmes à travers les institutions et non directement sur nos lieux de vie et de travail, du pain béni pour le système. Ce constat, nous le retrouvons dans l’analyse de Giorgos sur Syriza : sa montée en puissance et son arrivée au pouvoir ont les mêmes caractéristiques. Syriza a édulcoré son programme politique pour parvenir au pouvoir (le programme de Thessalonique) afin d’apparaître comme le parti le mieux à même de gérer la société et de la pacifier. Le mouvement social s’est désagrégé pour tomber dans l’apathie et l’attentisme. Même le mouvement anarchiste grec s’est trouvé désemparé et n’a pas su impulser une campagne d’abstention forte. Et une fois au pouvoir, Syriza a trahi ses promesses, une par une, jusqu’à la plus importante : le refus des mémorandums imposés par l’Europe. Syriza a trahi les luttes, a pacifié le mouvement social, a assuré la continuité de la mainmise des bureaucraties syndicales sur les salariés. Syriza s’est détourné des préoccupations écologiques et a permis à la précarité de s’accroître encore. Le gouvernement de Syriza applique la politique raciste des camps de concentration pour les migrants et s’associe à la politique de guerre coloniale pour le pétrole dans le Sud-est méditerranéen.

Mais cette récupération politique ne doit pas faire oublier les conséquences positives de ces mouvements. Aux Etats-Unis, le mouvement « Black Lives Matter » (les vies des noirs comptent) qui s’est développé ces dernières années est peut-être plus profond que ne l’a été Occupy Wall Street. S’il se défend de faire un lien direct entre les deux mouvements, Mark Bray constate qu’ils partagent une logique antiautoritaire. Aujourd’hui, avec l’arrivée au pouvoir de Trump et la poussée xénophobe qui l’accompagne (800 crimes racistes ont été perpétrés dans les jours qui ont suivi son élection, des synagogues et des centres musulmans ont été victimes d’attaques et de menaces), on constate qu’une partie importante des américains sont prêts à se battre pour le droit à d’autres de venir s’installer aux Etats-Unis. Des mouvements de défense des immigrés eux-mêmes apparaissent, comme le mouvement des bodegas (grève menée par de petits commerçants yéménites). Occupy Wall Street a permis d’envisager une autre façon d’affirmer ses positions politiques. En Grèce, avec l’arrivée au pouvoir de Syriza, le mouvement social a connu une terrible défaite, mais aujourd’hui il reprend du poil de la bête. En Espagne, le 15 M a montré sa capacité de mobilisation à tel point que l’Etat a promulgué des lois répressives pour le contrer. Le mouvement existe toujours et reste à la pointe de la mobilisation. Il a permis une contestation active du discours officiel de la pensée unique : c’est plus facile aujourd’hui de critiquer et contester le système capitaliste qu’avant 2011. Il a permis la radicalisation d’autres luttes comme celle de la plateforme des « victimes de l’hypothèque » et le développement d’espaces autonomes et autogérés de luttes. Un bémol : ce mouvement a été avant tout urbain, il n’a pas su s’implanter dans les campagnes, ni intégrer les adolescents.

Les journées étaient aussi l’occasion de découvrir l’exposition affichée à la fac de lettres qui présentait différents mouvements spontanés de par le monde depuis 2008 et la place qui y ont pris les anarchistes. Tout ceci n’aurait pu avoir lieu sans la contribution, une fois de plus, des artistes qui sont venus jouer lors du concert inaugural des journées, à la centrifugeuse. Nous refusons les subventions et préférons dépendre de la solidarité de ces artistes et de ceux qui viennent au concert plutôt que de dépendre de l’Etat. Ce concert a été un succès. Merci à Luna Park, aux Patators, à Wooden Pearls et à l’équipe de la centrifugeuse pour leur engagement, leur gentillesse et leur talent, merci également à Mark, Giorgos, Carlos et Alberto qui ont pris le temps de préparer et venir animer les conférences, merci enfin à toutes celles et ceux qui se sont déplacés pour partager avec nous ces moments instructifs et fraternels.

Jipé