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Dans les précédents épisodes, nous avons déjà évoqué les destins différents des hommes et des femmes – marins et ouvrières de Douarnenez – au début du 20e siècle. Cette discrimination s’observe aussi pour ce qui est de la pratique religieuse et du contrôle que l’Eglise exerce sur la sexualité.

Dans cet épisode nous avons croisé deux démarches qui se complètent : celle de l’histoire orale, ou la parole est donnée à des témoins directs qui racontent leurs expériences et celle de l’histoire classique qui repose sur des documents écrits et des renseignements chiffrés.

Dans port de Douarnenez, au sein du petit peuple, la religion est surtout l’affaire des femmes. A la différence des notables et des patrons pêcheurs les plus riches, les simples marins ne vont guère à l’église, sauf pour Pâques ou à la Saint-Joseph, leur saint protecteur. Les femmes et surtout les jeunes filles s’y rendent tous les dimanches. D’abord, il existe une collusion entre les usiniers et le clergé : les patrons, qui occupent avec leur famille les premiers rangs à l’église, s’attendent à voir leurs ouvrières à la messe. Ensuite, pour les jeunes femmes, c’est l’une des rares distractions permises, une occasion de sortir pour se retrouver entre amies, de porter un chapeau et les habits du dimanche !

Pourtant la ville est majoritairement anti-cléricale. « Républicaine de 1890 à 1902, radicale jusqu’en 1912, Douarnenez, après un intermède conservateur, passe en mains socialistes en 1919, avant de devenir en 1921 (…) municipalité communiste »[1]. Le parti conservateur n’a pas le vote des marins-pêcheurs. Le clergé tente de récupérer cet électorat (seuls les hommes votent) en influençant les femmes. On essaie de convaincre les mères d’inscrire leurs enfants à l’école « libre » (catholique) payante plutôt qu’à l’école publique laïque : l’école du diable aux yeux des prêtres !

La tradition chrétienne considère la chasteté et le célibat comme supérieurs au mariage. L’Eglise primitive « assignait au mariage chrétien un rôle en même temps précis et ambigu ; cadre normal et respecté de la prolongation de l’espèce, il demeurait inférieur à l’existence amputée des moines et des saints, image du futur statut céleste des bienheureux »[2].

A Douarnenez au début du 20e siècle, les jeunes filles sont « tenues serrées ». Elles doivent – en théorie – rester vierges jusqu’à leurs noces. Anne-Denes Martin ne donne pas de statistiques, mais à partir de quelques exemples, on imagine que la tradition du mariage tardif, caractéristique des classes populaires à l’époque moderne (16e-18e siècles), était encore répandue. Pour les dominants, le mariage tardif « réservé aux misérables » avait le mérite de limiter « à la fois leur nombre et leurs plaisirs ; associé à la répression de la sexualité illégitime, il condamnait les pauvres, par un jeu fort subtil des mécanismes de classes, à aimer moins, moins tôt et moins longtemps, que les riches »[3]. De fait, celui-ci implique souvent de longues fiançailles pas toujours chastes ! Beaucoup de filles sont enceintes au moment du mariage. Celles chez qui la grossesse est visible sont privées de noce dans la grande église. Dans ce cas, le mariage se fait à la sauvette dans une petite chapelle… S’il y a « mensonge », c’est l’enfant – né trop tôt – qui est privé de cloches lors de son baptême. « Qui dissimule ou ment par omission est voué à l’enfer. Mais qui avoue est voué à la honte »[4].

La honte de la chair n’épargne pas les rapports légitimes. C’est ce que montre la cérémonie des relevailles, un rite purificatoire qui assimile la conception et la mise au monde de l’enfant à une souillure. Après la naissance, quand la mère était sur pied, elle devait se rendre à l’église avec « un mantelet. C’était une grande cape noire (…) parce qu’on avait accouché… Avant de reprendre la vie à nouveau, il fallait aller à la confesse avec cette cape là (…). Vous restiez sous le proche. Vous n’aviez pas le droit de rentrer dans l’église avant que le prêtre vienne vous chercher… Pour effacer le péché »[5].

Si l’on ajoute à la morale religieuse, les trop longues journées de labeur à l’usine ou en mer et l’exigüité des logements, on comprend facilement que les rapports conjugaux aient été misérables, « relativement rares, brefs, et privés de chaleur ou de raffinement »[6] comme le note l’historien Jacques Solé à propos de l’Europe moderne. Les témoins confirment : « Quand les marins arrivaient à terre, celui qui pouvait faire un gosse, faisait un gosse de suite, un pied sur le plancher un autre dans le lit, c’était fait ! »[7].

Par ailleurs, il y a des questions sexuelles que l’historienne de Douarnenez n’aborde pas avec les informatrices : l’homosexualité, le recours à la contraception, la masturbation… Nous y reviendrons.

(A suivre…)

[1] Anne-Denes Martin, Les ouvrières de la mer. Histoire des sardinières du littoral breton, Paris, L’Harmattan, 1994, p. 62.

[2] Jacques Solé, L’amour en Occident à l’Epoque moderne, Paris, Albin Michel, 1976, p. 72.

[3] Ibid., p. 25.

[4] Anne-Denes Martin, op. cit., p. 79.

[5] Ibid., pp. 79-80.

[6] Jacques Solé, op. cit., p. 52.

[7] Anne-Denes Martin, op. cit., p. 91.