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L’Internationale anarcho-syndicaliste IWA-AIT (1) a tenu son 28e congrès du 8 au 11 décembre à Alcoi (Alcoy, Espagne). Cette rencontre marquait le centenaire de cette internationale crée en décembre 1922 à Berlin.

La ville choisie pour commémorer cet événement n’est pas le fruit du hasard. En effet, il y a 150 ans, après la naissance de l’Internationale anti-autoritaire à Saint-Imier, Alcoi fut désignée par la Fédération régionale espagnole (FRE) comme siège de son Conseil. Après Barcelone, cette petite ville était la localité de l’Etat espagnol où l’Internationale comptait le plus d’adhérents.
Durant l’été 1873, Alcoi devait connaître un mouvement insurrectionnel, suite à une grève au cours de laquelle le maire – qui se présentait comme un médiateur – avait fait tirer sur la foule. Il fut renversé et la grève générale se transforma en une révolution locale qui devait durer de juillet à octobre, avec auto-organisation et mise en œuvre d’une répartition des ressources. Tout porte à penser qu’avant d’être victime d’une terrible répression Alcoi fut, durant ces quelques mois, « La Cité du Bon Accord », terme par lequel Elisée Reclus allait qualifier l’Anarchie… en 1895 ! (2)

Le Congrès

L’AIT-IWA compte actuellement plus de vingt sections ou groupes amis. La plupart étaient présents ; (celles et ceux qui n’ont pas pu obtenir de visa Schengen ont pu suivre les débats par vidéo-conférence). Les lignes qui suivent donnent un bref aperçu de son déroulement.
Comme d’habitude, l’ordre du jour était très vaste : proposition d’amendements aux statuts ; organisation du travail interne ; création de groupes de travail et autres projets ; adhésion de nouvelles organisations…
Ces dernières années, l’AIT a vu augmenter le nombre des organisations membres et sympathisantes en Asie et en Amérique latine. De ce fait, la présence de délégué.e.s non Européen.ne.s était importante. Ils et elles avaient beaucoup de chose à dire, par exemple, sur la question du changement climatique et des mobilisations que celui-ci implique. Il a notamment été question des actions menées par la Fédération des travailleurs solidaires du Pakistan, après les inondations catastrophiques de cette année, et de l’auto-organisation qui s’est développée, face à l’incapacité du gouvernement à faire face à la situation. De leur côté, les délégué.e.s d’Indonésie ont partagé leur expérience de mise en œuvre d’une ferme bio.
Il a aussi été question de l’organisation sur le lieu de travail, des conflits du travail… une brochure commune ayant été préparée sur ces thèmes dans la perspective du Congrès – afin de permettre aux groupes vétérans de transmettre leurs expériences aux nouvelles sections et amis. Il est prévu, à l’avenir, de publier une Lettre d’information destinée à une diffusion extérieure (comme cela a existé par le passé).
Le groupe « Organize » (Irlande) a été admis au sein de l’AIT en tant qu’organisation « amie ». Les fonctions du secrétariat seront partagées entre les sections polonaise et australienne de l’Internationale. Décision a été prise d’organiser le prochain congrès en Indonésie afin de permettre à un plus grand nombre de militant.e.s d’Asie et d’Océanie d’y participer.
Enfin, les attaques systématiques que mène la section espagnole de la CIT (Confédération internationale du travail) contre la CNT-AIT en Espagne ont été dénoncées : les congressistes ont décidé de faire une campagne en solidarité avec leurs camarades espagnols et pour récupérer les archives de l’AIT dont la CIT-Espagne s’est accaparée.

Une semaine intense

Des activités publiques ont été réalisées durant toute la semaine du 5 au 11 décembre, un large public militant et sympathisant y a assisté. Au fil des jours, le succès de ces manifestations a été grandissant…
Nous tenons d’abord à remercier l’équipe militante qui a pris en charge l’organisation « technique » de ces rencontres. Ces militant.e.s ont fait preuve d’une vitalité extraordinaire. La préparation de deux savoureux repas par jour, véganes ou végétariens, pour une centaine de convives, n’est que l’une des prouesses à mettre à leur actif !
Parmi les événements auxquels nous avons pu assister, il y a eu plusieurs présentations de livres par leurs auteur.e.s. Un grand moment fut celui de l’ouvrage collectif Somos las que estábamos esperando. Mujeres que no se rinden (3) (Nous sommes celles que nous espérions. Des femmes qui ne se rendent pas) avec la présence de quatre des contributrices : des ouvrières (couturières) de chaussures qui dénoncent le travail non déclaré (nécessitant pourtant une haute qualification) grâce auquel s’enrichissent les patrons de ce secteur dans la région d’Elche et des « Kellys » (femmes de chambre). Le nom que se sont donné les femmes exerçant ce métier est un jeu de mot qui signifie « las que limpian », textuellement « celles qui nettoient » : un travail harassant, toujours plus intensif et qui se précarise, mais qui est absolument indispensable pour le secteur. Dans la station balnéaire de Benidorm, par exemple, elles sont près de 4’000 à exercer ce métier, mais si les chambres des hôtels n’étaient pas nettoyées, le tourisme n’existerait pas. Évoquant les spectaculaires luttes qu’elles ont menées, Yolanda García a exprimé le plaisir qu’elle éprouve lorsqu’elle manifeste devant un hôtel en criant dans un mégaphone, aux touristes ébahis à leur fenêtre, qu’ils paient 80 euros par jour pour être là, mais que celle qui nettoie n’en touche qu’un pour faire la chambre !
Dans un autre registre, nous avons apprécié la présentation de l’exposition « La presse libertaire durant la clandestinité : 1939-1975 » par l’Ateneu Enciclopèdic Popular de Barcelone, qui donne un aperçu de l’ampleur de l’activité menée par les anarchistes pendant la dictature franquiste, ou l’intéressant exposé de Daniel Minchekewün sur l’histoire de l’anarcho-syndicalisme au Chili.
Nous avons eu droit à la projection en avant-première d’un court-métrage qui retrace les origines de la révolte de la COPEL (coordination des prisonniers en lutte) dans la prison de Carabanchel (Madrid) à l’automne 1976 ; à des concerts et à des représentations théâtrales, dont celle des marionnettistes Títeres desde Abajo avec leur spectacle « La sorcière et Don Cristóbal » qui leur avait valu d’être arrêtés et emprisonnés en 2016 (4) et qui, pour l’occasion, était donné en espéranto ! Et tout au long de ces journées, il y avait une foire du livre permanente avec des éditeurs, des libraires et des distributeurs « anti-commerciaux », témoignant de la richesse de la production éditoriale libertaire en Espagne.
Malgré les actions permanentes visant à sa destruction, l’anarcho-syndicalisme est bien vivant et a encore beaucoup à donner. Ce qu’il faut, c’est que sa vitalité et son développement soient plus rapides et puissants que la répression, les tentatives de récupération, les leurres et autres provocations auxquels il est confronté aujourd’hui, comme il l’a été tout au long de son histoire.

Notes
1) International workers association – Asociación internacional de trabajadores. Les deux langues usuelles de l’IWA-AIT sont l’anglais et l’espagnol.
Dans la mesure du possible l’IWA-AIT tient congrès tous les trois ans. Le 27e congrès ordinaire a eu lieu en décembre 2019 à Melbourne.
2) Voir le bulletin Monográfico IWA-AIT Centenario 1922-2022, p. 18. https://issuu.com/bloodbrotherscreative/docs/monografrico20
3) La Oveja Roja, Madrid, 2020.
4) Voir sur ce blog : https://laffranchi.info/espagne-guignol-au-pilori/ et https://laffranchi.info/marionnettistes-la-lutte-continue/ 
Précisons que cette affaire s’est terminée par un non-lieu.