L'hydre du séparatisme domptée. Les muselières sont aux couleurs de chacune des régions autonomes. Puig Rosado, pour Estilo
Ces derniers jours, la Catalogne a connu une accélération des événements politiques. Le paroxysme s’est produit ce dimanche 10 janvier 2016, avec la démission du president Mas et l’élection d’un candidat du même parti à la tête de la Generalitat. La démission de Mas était la condition exigée par les «Candidatures d’unité populaires» (CUP) qui en avaient fait une question de principe. Rappelons qu’avec leurs dix élus, les CUP avaient en main la clé de l’intronisation du président catalan et donc de la constitution du nouveau gouvernement régional. Sans cet accord, de nouvelles élections auraient dû avoir lieu en mars.
Si au départ, pour la formation anticapitaliste, le refus de l’investiture du président sortant signifiait le rejet de la corruption et des politiques d’austérité – menées avec plus d’entrain encore par les conservateurs catalans que par le parti populaire au pouvoir à Madrid – aujourd’hui, le choix de Carles Puigdemont, maire de Gérone ne constitue visiblement plus un écueil pour les CUP. En acceptant de soutenir le frère siamois de Mas, les CUP ont choisi de privilégier l’indépendance de la Catalogne au détriment de mesures sociales. Durant les interminables tractations de ces derniers mois, ils-elles ont été confrontés à un dilemme : soit d’être accusés de faire capoter le processus indépendantiste, soit de devoir mettre en veilleuse leurs principes, ce qui n’a pas manqué de créer des tensions internes et des ruptures.
Si nous revenons sur les événements catalans, c’est parce que ceux-ci réunissent tous les ingrédients d’un abandon de la question sociale au bénéfice des ambitions politiques de nouvelles élites, dont certaines sont issues du mouvement des indignés (15M). Ces dernières péripéties consacrent aussi le recul des luttes contre les mesures d’austérité et l’abandon de la dénonciation de la corruption. Quant à la défense des mouvements sociaux contre la répression, si elle est évoquée par les CUP, elle sera difficilement compatible avec les compromis acceptés. Les succès électoraux des nouveaux partis dans de nombreuses municipalités et dans des régions ont débauché des activistes qui auparavant nourrissaient ces luttes de base. L’exemple le plus emblématique est celui de la maire de Barcelone Ada Colau, ancienne leader du mouvement contre les expulsions de logements. L’essentiel maintenant serait la prise du pouvoir pour transformer les institutions.
Des « anticapitalistes » au service de la bourgeoisie
Afin de garantir la stabilité parlementaire du nouvel exécutif, deux députés des CUP vont rejoindre la coalition Junts pel Sí dirigée par Convergencia democratica de Catalunya, le parti de Mas, deux autres vont renoncer à leur mandat à titre d’autocritique « pour leurs erreurs de gestion dans le cadre des [récentes] négociations… ». Autoflagellation de la semaine sainte, ou punition pour déviation maoïste ? On l’ignore. Nous observons ici, un phénomène qui n’est pas exclusif à la Catalogne, l’alliance entre des conservateurs nationalistes et l’extrême-gauche. L’exemple du gouvernement Syriza en Grèce associé au parti de droite et anti-immigrés des « Grecs indépendants » en est une autre illustration. Sauf qu’à la différence de la Grèce, en Catalogne ce sont dix élus «alternatifs» qui sauvent le cul de soixante-deux élus de la droite nationaliste. L’internationalisme et la fraternité universelle semblent vraiment passés de mode, même à l’extrême-gauche!
La question catalane ne manquera pas de s’inviter dans les tractations menées à Madrid, en vue de former le prochain gouvernement espagnol. Elle en deviendra, à n’en pas douter, le thème central, éclipsant tous les autres problèmes. Les résultats électoraux de décembre 2015 n’ont donné de majorité à aucune des forces en présence et ont confirmé l’affaiblissement des deux partis qui se relayaient au pouvoir à Madrid depuis plus de trente ans. Ni le parti socialiste (PSOE), ni les conservateurs du PP n’ont réussi le pari de pouvoir gouverner sans alliances et celles-ci semblent difficiles à trouver. Le succès des nouvelles formations comme Podemos et Ciudadanos élargit le champ politique institutionnel. Podemos devance les partis traditionnels au Pays Basque, autre région soumise à de fortes tensions territoriales susceptibles de remettre en question la sacro-sainte unité de l’Espagne. Sur la question nationaliste, Pablo Iglesias, le leader de Podemos a choisi une voie moyenne : il est favorable à un changement constitutionnel qui permettrait l’organisation d’un référendum d’autodétermination de la Catalogne (ou d’une autre région), mais opposé à la division de l’Espagne. Pour un homme pour qui la prise du pouvoir constitue le seul moyen de changer la société – comme il l’explique dans son livre Les Leçons politiques de Game of Thrones, inspiré par la série télévisée du même nom – on peut s’attendre à d’animées luttes de palais au service desquels les va-nu-pieds n’auront qu’à se soumettre. Décidément, les exploité-e-s feraient bien de se méfier des politiciens qui se disent leurs amis.