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Et si on s’était complètement trompés ? Si ce système que nous critiquons, pages après pages, n’était au fond pas si mauvais : prêt à sacrifier tous ses principes capitalistes et libéraux, prêt à tout arrêter pour sauver les vieux et les malades chroniques ? Avec une abnégation sans pareil, les gouvernements enferment leur population, ferment les écoles, les commerces, les bistrots, les cinémas… pour sauver la vie des plus faibles.

Voilà ce que l’on essaie de nous faire croire. Dans les faits, alors que depuis bien longtemps – et notamment depuis la grippe H1N1 en 2009, le SRAS en 2013 – on savait qu’une vaste pandémie allait se produire tôt ou tard, des précautions simples, peu onéreuses et décidées sur le papier, n’ont pas été mises en œuvre. Par exemple, celle de constituer des réserves de masques chirurgicaux… L’amateurisme et l’imprévision sont de mise chez les gouvernants. Alors que l’épidémie s’étendait en Chine, ceux-ci ont tablé sur la non-diffusion du virus dans nos contrées et n’ont pas envoyé d’équipes spécialisées étudier le problème sur le terrain. Quand l’Italie a été touchée, on a mis ça sur le compte de l’indolence transalpine…

Une nouvelle crise

Depuis quelques années, les « crises » se succèdent et le capitalisme a déjà paru se trouver au bord de l’abîme. En 2007-2008, la crise dite des « subprime » semblait avoir plongé le monde de la finance jusqu’aux portes de l’enfer. Sans le soutien des Etats et de leur politique de socialisation des pertes/privatisation des bénéfices, les banques dites « systémiques » n’auraient pas relevé la tête.

Avec la crise du COVID-19, on est reparti vers une opération du même type – à une plus grande échelle. En Suisse par exemple, le Conseil fédéral met en œuvre un plan de 42 milliards de francs suisses (environ 40 milliards d’euros) qui concerne pour moitié le crédit aux entreprises affectées par la pandémie. Ce sont les banques qui sont appelées à concéder les crédits : jusqu’à 500’000 francs (480’000 euros) la Confédération se portera garante de la totalité de l’emprunt et jusqu’à 2 millions (1,9 million d’euros), elle en garantira le 85%. Toutes ces banques qui peinaient à dénicher des investissements trouvent là une intéressante porte de sortie. Les entreprises qui subsisteront après la crise rembourseront leur crédit et le contribuable payera pour celles qui feront faillite !

Cette crise offre aussi un éclairage cruel sur la mondialisation. En Suisse, on voit les conséquences du choix qui a été fait de conserver les sièges des multinationales – grâce aux avantages fiscaux – alors qu’une bonne part de la production est réalisée dans des pays où les coûts (salaires…) son bas. Ainsi, selon un expert de la Confédération, les tests de dépistages ont été réservés aux personnes présentant d’importants symptômes car, bien qu’on ait les machines nécessaires, on ne produit pas le « réactif » qui permet les diagnostics. Et dans le contexte actuel, les pays exportateurs gardent leurs stocks pour eux !

Quant à la mobilité de la main-d’œuvre, l’autre mamelle dont se nourrit le capitalisme, la voici une nouvelle fois mise en question. Dans la région lémanique ainsi qu’au Tessin, beaucoup salarié-e-e, dont un nombre important de soignant-e-s ont un permis de travail frontalier. Domicilié-e-s en France (55%), en Italie, en Allemagne ou en Autriche, ces travailleuses et travailleurs doivent passer la frontière tous les jours. Bloqués le premier jour par les nouveaux contrôles douaniers, des voies rapides leur sont désormais réservées. Mais peut-être que demain, les soignant-e-s seront réquisitionné-e-s par leur pays d’origine… Des Suisses qui a longueur d’année se plaignent du fait que les « étrangers » sont trop nombreux, doivent maintenant espérer que ces personnes continuent à traverser la frontière pour venir les soigner.

L’hôpital malade

La crise du COVID-19 est aggravée par les coupes budgétaires réalisées dans les systèmes de santé depuis des lustres au nom de la doctrine libérale de l’Etat minimal qui s’accompagne du développement de la médecine privée, prétendue plus efficiente. Dans les hôpitaux publics, c’est aussi la logique du management des entreprises capitalistes qui est en œuvre. On applique le principe du flux tendu : le nombre des hôpitaux a été réduit, puis celui des lits ; la durée du séjour des malades a été raccourcie le plus possible… Des économies de bouts de chandelle dont on paie le prix maintenant. Va-t-on vraiment réquisitionner les ressources des cliniques privées, lorsque les hôpitaux publics manqueront de respirateurs et ne pourront plus faire face ? Va-t-on y transférer les personnes souffrant d’autres pathologies ? Est-ce que les malades fortunés dont les assurances « complémentaires » payent ce genre d’établissements auront la priorité ? Poser la question, c’est y répondre. Quant aux médecins privés sur lesquels reposent, en Suisse, l’essentiel des soins ambulatoires et des consultations, leurs motivations sont souvent plus pécuniaires qu’altruistes. Les investissements consentis, tant sur le plan de la formation (où la sélection est particulièrement rude) que sur celui de l’équipement du cabinet médical doivent être rentabilisés… Combien sont atteignables en dehors des heures de bureau ? Combien font encore des visites à domicile ? Déjà avant cette crise, les urgences étaient le plus souvent débordées, car c’est le seul endroit où l’on peut se rendre si on fait un malaise la nuit.

Une guerre… contre qui ?

Macron a affirmé dans un de ses discours grandiloquent que la France était en guerre contre le virus… D’autres, sur les réseaux sociaux parlent d’une guerre bactériologique de faible intensité. Certains affirment que le COVID-19 se serait échappé d’un laboratoire chinois… Tout ce qu’on sait à ce propos, c’est qu’on n’en sait rien et que suivre ces pistes « conspirationnistes » ne nous aidera pas à comprendre les enjeux de ce qui est en train de se produire. Bien sûr, il y a des adeptes du « darwinisme social » qui considèrent qu’éliminer les vieux, surtout s’ils sont déjà malades est une opération de salubrité publique. Le président anglais Boris Johnson a été tenté par un tel scénario en pariant sur « l’immunité de masse » avant de se rétracter. Aux Etats-Unis, des gens qui ne sont pas assurés mourront faute de pouvoir accéder à des soins. Mais ce n’est pas beaucoup mieux en Europe continentale, pour les gens qui doivent se rendre dans un hôpital ou un centre sanitaire débordé où les soignant-e-s n’ont pas assez de masques, manquent d’appareils respiratoires et même de gel hydroalcoolique.

En France, mais aussi en Espagne… des maisons de retraite (EHPAD) sont contaminées et une bonne partie de la surmortalité liée au COVID-19 qui s’y produit n’est même pas comptabilisée, car les malades ne sont pas testés. Dans ce contexte, on reste tout de même surpris par les polémiques autour du traitement à base d’hydroxychloroquine (un antipaludique) préconisé par le professeur Didier Raoult de l’IHU de Marseille. Comment se fait-il que certains mettent en avant les effets secondaires (bien connus et maîtrisés) de ce médicament pour refuser sa généralisation ? La chloroquine étant utilisée depuis plus d’un demi-siècle ! Par ailleurs, en ce qui concerne le COVID-19, elle a été prescrite en Chine et en Corée, deux pays où l’épidémie semble jugulée pour l’instant. Serait-ce parce que ce médicament est bon marché (5 euros la plaquette) et que le brevet est tombé dans le domaine public, ce qui autorise la fabrication de génériques ? donc sans intérêt pour les laboratoires pharmaceutiques… Se dirige-t-on vers un nouveau scandale sanitaire ?

Pour certains, la crise du COVID-19 tombe à propos. Comme l’a dit récemment Naomie Klein, les moments de crise sont l’occasion pour les élites de faire avancer des politiques impopulaires qui polarisent encore plus les inégalités. Après les grèves et mobilisations contre la réforme des retraites… la crise du COVID-19 offre une pause bienvenue au gouvernement Macron qui ne manque pas de prendre à tour de bras des mesures contre la classe ouvrière et les plus faibles. Mais il est peu probable qu’il en sorte grandi. Tergiversations et contradictions ont précédé la mise en œuvre des mesures de protection, comme le maintien du premier tour des élections municipales le 15 mars alors que le confinement avait été annoncé ! D’ailleurs, aux dernières nouvelles, un certain nombre d’assesseur-e-s et président-e-s de bureau de vote ont contracté le coronavirus… Entre autres trouvailles, l’exigence qui est faite aux Français-e-s de se munir d’un « ausweis » (attestation de déplacement dérogatoire) pour sortir de leur domicile donne lieu à de nombreux abus de la part des forces de police. Après les violences policières inouïes contre les gilets jaunes, beaucoup d’autres personnes font désormais l’expérience de la répression arbitraire.

Cette pandémie est aussi un puissant révélateur des inégalités, entre les pays pour ce qui est des moyens médicaux disponibles et entre les classes. On verra sans doute, au final, que le risque n’est pas seulement lié à l’âge, mais aussi à la classe et au métier. Il y a celles et ceux qui risquent leur peau, faute de matériel de protection : soignant-e-s, personnels de nettoyage, laborantin-e-s, ouvriers de la construction, livreurs…[1] et tous les précaires qui n’exigent pas des conditions de travail sûres de peur de perdre leur travail. Beaucoup se retrouvent sans indemnités de chômage, tout comme les personnes actives dans l’économie informelle, les sans-papiers…

Le confinement met aussi en lumière les gens mal-logés, entassés dans des HLM, pour qui la réclusion à domicile relève de la torture. Des SDF sont amendés par la police ! D’autres réalités, souvent oubliées, sont dévoilées : les prisons surpeuplées où la promiscuité règne et où il y a déjà des mutineries en Italie, en France et ailleurs ; les hôpitaux psychiatriques, parents pauvres de la médecine ; les maisons de retraite déjà évoquées…

La pandémie de COVID-19 et le contrôle biopolitique qui l’accompagne constituent pour les Etats une extraordinaire expérience de quadrillage de la population. Une expérience qui leur servira à affronter les mouvements sociaux futurs – comme elle a permis d’interrompre les mobilisations actuelles (mouvements sociaux au Chili, à Hong Kong, en France… mouvements féministes, pour le climat, etc.). Nous devons, nous aussi, en tirer des enseignements sur la force, mais aussi sur les failles et les fragilités de nos adversaires.

Le pacte social qui existait depuis la fin de la seconde guerre mondiale entre les élites et le reste de la population a volé en éclats. Face aux profiteurs de guerre qui tirent bénéfice de la souffrance et de l’angoisse que provoquent la pandémie ; face aux piètres gestionnaires avant tout préoccupé-e-s par leur carrière politique ; face aux grandes firmes pharmaceutiques pour qui seuls comptent les bénéfices à verser aux actionnaires ; face à la corruption qui gangrène la recherche médicale ; face au capitalisme barbare qui nous détruit, nous devons combattre l’individualisme, le chacun pour soi, le repli nationaliste… et continuer à mettre en œuvre la solidarité à la base, entre les exploité-e-s, sur les lieux de vie et de travail… dans la perspective de construire les prémices d’une société communiste libertaire, égalitaire et fraternelle.

[1] Nous avons appris que Rafa, un militant anarchiste d’une trentaine d’années de La Rinconada (Séville) est décédé du COVID-19.